Ce que j’aime aussi, ici, ce sont les leçons de géographie de ma grand-mère. Elle a appris la carte du monde sur la peau de Poulette, sa vache. Alors, souvent, elle me raconte le monde en lui caressant les flancs :
« Tu vois tous ces pays tranquilles ? Aucune frontière interdite ! Ils ont tous la même couleur et ils parlent d’une même voix : meuuuh ! Ici, c’est la mer couleur de lait. Et plus haut, les montagnes enneigées. Ah ! Je voudrais tant que ma vache gouverne le monde !
Elle serait tellement moins vacharde que ces gredins qui n’ont pitié ni des vieux ni des miséreux qui frappent à la porte ! »
Ce soir, c’est un Noël un peu spécial : le Noël de mes dix ans. Alors, la nuit dernière, j’ai rêvé d’un cadeau vraiment exceptionnel. À peine arrivé, j’ai embrassé les grands-parents et j’ai foncé vers la forêt pendant que mon grand-père cuisait des montagnes de bonshommes en pain d’épice. J’ai ramassé une pomme de pin puis, entre ses écailles bien ouvertes, je lui ai murmuré un
minuscule poème, en langue de pomme de pin, bien sûr :
–Wouak wouak pinfoul, spak spak, bring kapoul…
Au dernier son que j’ai prononcé, elle est devenue dorée et lumineuse, effaçant toutes les ombres de la forêt.
Puis elle m’a répondu dans son langage parfumé :
– Pawak pivol zel zel zel !
J’ai couru jusqu’à la maison, ni trop vite ni trop lentement, pour annoncer la grande nouvelle :
– Ce soir, nous allons pouvoir voler !
Ma grand-mère n’a pas perdu une seconde, elle a aussitôt enchaîné :
– Je me coiffe et on y va !
Et mon grand-père n’a même pas râlé !
Il a ajouté :
– J’en prépare 50 de plus et encore 30, mais après y’aura plus de farine !
C’est là que j’ai suggéré :
– Alors faut aussi en faire des tout en bois !
Tout le monde a ri, pas moi, j’avais ma petite idée. Mais tout le monde s’y est mis.
Du bois tendre, il y en avait bien sûr dans la forêt-de-tous-lespossibles, et des outils, dans la cabane du jardin. En sciant, ponçant, polissant, on en a fabriqué 50 et encore 100 et encore 421 !
Puis Mamie Léonie a attelé la vache ; la brave bête se laisse toujours faire. Elle a fixé de part et d’autre de ses deux cartes du monde les deux bras de la charrette des arrière-arrièregrands-parents, ceux qui ne savaient lire que leur nom, tellement c’est de l’histoire ancienne.
Retrouvez la fin du conte Mercredi...
Conte inédit écrit par Alain Serres et illustré par Zaü pour Vie nouvelle 208
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis