Pendant que les Ehpad du groupe Orpea, coté en Bourse, organisaient leur rentabilité en réalisant des économies qui se sont traduites par des maltraitances sur les résidents, la rémunération du PDG atteignait 112 500 € par mois en moyenne.

Dans une partie de la presse, « l’or gris » est une formule souvent utilisée pour désigner les retraités comme un minerai précieux susceptible de générer de gros profits. À la fin du mois de janvier, le scandale de la maltraitance dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est décrit dans Les fossoyeurs1. Ce livre de Victor Castanet sur les pratiques du groupe privé Orpea a montré à quel point la terminologie « or gris » est abjecte et proche d’une triste réalité : les personnes âgées, filon à exploiter comme des mines d’or par des financiers décomplexés.
Au-delà des croisières en bateau et autres voyages organisés dans des pays lointains, c’est surtout l’hébergement des personnes âgées dépendantes qui attire les investisseurs. L’universitaire Théo Bourgeron est l’un des auteurs du rapport2 Financiariser le grand âge : le rôle du capital-investissement dans la gestion des maisons de retraite au Royaume-Uni, en Allemagne et en France.

Financiarisation à outrance

Dans un entretien publié par l’Agence France presse le 4 février, Théo Bourgeron livre l’analyse suivante : « Le secteur privé lucratif dans les Ehpad est constitué de deux gros pôles : les groupes cotés en Bourse, notamment Korian et Orpea, les deux plus gros en France, et les groupes détenus par des fonds de capital-investissement qui achètent des entreprises non cotées. La financiarisation a lieu par ces deux biais. (…) Face à la croissance du besoin de lits en Ehpad, les pouvoirs publics ont décidé de soutenir l’émergence du secteur privé lucratif. Dans les Ehpad détenus par des fonds d’investissement, il y a un usage de la dette. C’est le mécanisme de l’achat avec effet de levier. Les établissements détenus avec beaucoup de dettes sont exonérés ou quasi-exonérés du paiement de l’impôt sur les sociétés car ils peuvent déduire de leurs bénéfices les intérêts de la dette à rembourser. C’est une forme de subvention cachée. Ces groupes privés peuvent aussi dégager des liquidités en vendant de l’immobilier pour racheter d’autres établissements et s’étendre. Ces mécanismes ne sont pas disponibles au secteur non lucratif ou public et font croître ce pôle privé lucratif ».

Économiser d’un côté et profiter de l’autre

Voilà comment les « économies » sur le personnel, les repas, les couches et les médicaments permettent d’accroître les profits. Yves Le Masne était PDG d’Orpea depuis 2011. Mais la révélation du scandale l’a obligé à quitter son poste. Selon Le Canard Enchaîné du 2 février, il fut informé début juillet 2021 des demandes d’information formulées par Victor Castanet pour la rédaction de son livre. Le Masne décida alors, semble-t-il, de vendre à partir du 23 juillet, en trois étapes, 5 456 actions Orpea d’une valeur de 107,80 € chacune. Ayant tout vendu avant leur dévalorisation à 38 €, il a encaissé 588 157 €.

Selon Le Canard, le cumul de son salaire fixe, du variable et de ses jetons de présence au conseil d’administration du groupe, permettait à Le Masne de dépasser 1 350 000 € de rémunération annuelle, soit 112 500 € par mois.
Voilà donc ce que rapporte l’or gris dans les Ehpad.

Gérard Le Puil