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RESTAURER LES CONDITIONS DE L’ÉSPÉRANCE

Nos difficultés à transformer la société et son ordre économique ne proviennent-elles pas de notre vision ambivalente de la notion du « possible » à partir de la situation présente ? Utopie ? Chimère ? Sommes-nous condamnés à un horizon définitivement bouché ? Comment penser ce qui nous arrive ? Que pouvons-nous faire ? Regards croisés entre Haud Guéguen, maîtresse de conférences en philosophie au Cnam à Paris et Laurent Jeanpierre, professeur de science politique à l’Université de Paris 1, coauteurs du livre Les perspectives du possible.

Le climat, la guerre, la situation économique ou sanitaire… Chaque jour apporte son lot de nouvelles anxiogènes. Difficile de penser qu’il est possible de peser sur le cours des évènements ?

Laurent Jeanpierre : Le sentiment du possible n’est pas seulement lié à des faits objectifs. C’est une production idéologique et la résultante des techniques de réduction de l’avenir pensable comme le montre bien, parmi d’autres exemples, l’orientation scolaire, universitaire ou professionnelle. D’un côté, l’idéologie dominante laisse croire que tout est possible. De l’autre, les contraintes qui pèsent sur les choix et les comportements sont fortes et très inégalement réparties. Le discours de la crise permanente, dans lequel nous sommes entrés il y a déjà quelques décennies, ne fait qu’accentuer ce phénomène en étouffant, au nom de l’urgence ou du réalisme, les désirs de transformation profonde.

Dans votre livre, vous expliquez qu’un des traits marquants du XXe siècle est d’avoir largement diffusé et multiplié les outils de « domestication de l’incertitude ». De quoi s’agit-il ?

Laurent Jeanpierre : Les pouvoirs publics et les puissances privées ont considérablement investi, en matière de savoirs et de technologies, le domaine de l’anticipation de l’avenir, par la planification, la prévision, la prospective, et aujourd’hui par les algorithmes des méga-firmes du numérique : ce sont des ressources fondamentales dans la lutte pour la définition du possible et dans la canalisation des aspirations. L’État ou les entreprises imposent ainsi, chacun dans son royaume, une conception de ce qui est réaliste et une vision négative des autres pensées ou projets, qualifiés péjorativement d’utopiques. Comment rompre avec ce primat du réalisme en politique, comme dans la vie ? Cela signifie d’abord d’être attentif à toutes les alternatives post-capitalistes en cours et aux conditions de leur prospérité puis de leur capacité de rupture.

Ce qui peut nous arriver et ce que nous pouvons faire, deux dimensions qui ne peuvent se penser l’une sans l’autre, dites-vous ? Comment décrypter cet entrelacs ?

Haud Guéguen : L’unique manière politiquement efficace de ne pas se laisser réduire à l’impuissance par ce qui arrive ou pourrait arriver (qu’il s’agisse d’événements négatifs ou positifs) consiste à s’y ajuster par l’action et, donc, à penser ce que nous pouvons faire pour y répondre. Mettre l’accent sur ces deux figures du possible, c’est insister à en penser la co-dépendance. Mais c’est aussi redonner toute sa positivité à la question du « faisable » ou du pouvoir de l’action. L’affirmation de ce croisement revêt par conséquent une signification essentiellement stratégique. Ce qui nous paraît tout à fait décisif dans une époque qui se caractérise le plus souvent par une incapacité, de la part des gauches, à abandonner des pratiques où s’inventent des manières de répondre aux événements les plus menaçants plutôt qu’à rester sur des postures purement défensives.

La notion de « possible » est presque devenue un mot d’ordre dans les discours contemporains. Peut-elle être associée à un discours de transformation émancipatrice, voire révolutionnaire ?

Haud Guéguen : La notion de possible ou de potentiel se trouve en effet aujourd’hui largement mobilisée par un ensemble de discours. En invitant à un permanent dépassement de soi, indissociable de l’éthos (Ensemble des caractères communs à un groupe d’individus appartenant à une même société.) néolibéral de l’individu, entrepreneur de soi-même, « le possible » devient un outil de disciplinarisation, que ce soit dans le marketing, le management ou le développement personnel. Dans ce cadre, l’appel au possible ne vise en aucun cas à penser des alternatives à l’ordre actuel. Il vise, au contraire, à s’y adapter. Inviter à se réapproprier la question du possible dans un sens émancipatoire, c’est donc refuser cette captation en rappelant son importance centrale pour toute pensée de la transformation ou de la révolution. De telles notions supposent que les choses puissent être autrement.

Le désintérêt, même relatif, du débat politique par les citoyens est-il fatal ? Peut-on y remédier ? Comment retrouver le sens de « l’en commun » ?

Laurent Jeanpierre : Rien n’est fatal dans l’histoire humaine. Si les femmes et les hommes font l’histoire, ils peuvent aussi en partie la défaire. L’apathie politique dans les démocraties contemporaines est variable même si elle semble s’accentuer. Il existe une foule de propositions pour la contrecarrer en modifiant les institutions ou en créant de nouveaux espaces démocratiques. Quoi qu’il advienne de ces réformes possibles, on sait désormais que l’engagement ne peut pas se nourrir seulement de programmes et de propositions générales ou techniques portées par des représentants : le quotidien, l’organisation concrète de la vie, les ancrages locaux ont été négligés par la politique professionnelle. Ils reviennent au contraire au centre lorsque des individus s’organisent collectivement en vue d’ouvrir le possible et de créer des agencements alternatifs, comme dans certaines coopératives, et partout où domine l’esprit de l’autogouvernement. Plusieurs mouvements sociaux contemporains expriment cette exigence.

« Soyez réalistes, demandez l'impossible ». Ce slogan phare de mai 1968 est-il toujours d’actualité pour résister au désespoir qui semble dominer ?

Haud Guéguen : Ce slogan ne saurait à l’évidence avoir aujourd’hui les mêmes résonances que celles qu’il pouvait avoir lors du mai 68 Français. Est-ce à dire qu’il faille l’abandonner ou n’y voir que le symptôme d’une illusion ? Sans doute pas, si du moins l’on accepte de donner à la notion d’impossible ce sens bien précis de ce qui, présenté par l’ordre dominant comme tel, constitue en réalité une possibilité de l’action collective et, par conséquent, une direction alternative, antithétique à celles qu’impose le discours suivant lequel il n’y aurait pas d’alternatives.

Entretien réalisé par Michel Scheidt

La perspective du possible, Haud Guéguen et Laurent Jeanpierre, 2022, éditions La Découverte, 22 €, édition numérique 15 €.

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