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Dossiers › TEMOINS/ACTEURS

Jeannine Marest

"Au moment où ce que certains ont appelé les "évènements de 1968" j’étais chimiste dans l’entreprise SIGMA, entreprise de mécanique de précision qui fabriquait des pompes à injection pour Berliet, aujourd’hui RVI, et des pompes hydrauliques. 1968 est l’année de mes 27 ans, syndiquée à la CGT depuis 1960 je suis adhérente de la section syndicale ETDA (employé, technicien, dessinateur et agent de maîtrise) rattachée au syndicat ETDA départemental de la métallurgie, au grand dam du syndicat ouvrier de l’entreprise qui considérait que c’était pour ne pas faire grève quand le syndicat le décidait. Déjà des incompréhensions sur la spécificité. Le syndicat ouvrier compte environ 350 adhérents sur 700 ouvriers, il faut dire que ce sont des ouvriers hautement professionnels et parmi les ETDA une centaine sont syndiqués sur 300 si mes souvenirs sont exacts.

Je retiens deux aspects qui ont marqués l’occupation de l’entreprise, d’abord la démocratie et les nouveaux rapports entre les cols bleus et les cols blancs.

Avant la grève le syndicat ouvrier comporte 3 sections syndicales, une pour l’équipe du matin, une pour l’équipe du soir et une pour les ouvriers qui travaillent la journée. Ce sont les syndiqués qui désignent les camarades qui seront présentés aux élections de DP et du CE. De plus il existe une section syndicale d’ETDA sans une véritable activité syndicale, sauf l’information.

Tout le monde dans l’usine ne parle que de ce qui se passe à Paris, les étudiants, la répression la manif du 13 mai à l’initiative de la CGT et l’appel de la CGT, la CFDT, la FEN, pour les confédérations et de l’UNEF pour les étudiants. Quand on apprend que « les Renault » sont en grève avec occupation, suivis de près par « les Berliet », le syndicat ouvrier et la section syndicale ETDA se réunissent pour examiner la situation et faire des propositions : cahier de revendications et forme d’action, à l’assemblée générale de l’ensemble des salariés de SIGMA convoquée pour le lundi matin.

C’est presque la totalité du personnel qui participe à l’AG, sauf les cadres, environ 80. Décision est prise d’occuper l’usine. Les responsables syndicaux proposent de mettre en place un dispositif qui permette de consulter en permanence les salariés. Ainsi tous les matins la direction du syndicat se réuni fait le point des initiatives à prendre, ensuite le comité de grève, qui a été élu par l’AG composé de syndiqués et de non syndiqués discute des propositions et consulte l’assemblée générale qui est convoquée tous les matins vers 9h ou 9h30 ?

Pour décider de la suite du mouvement et designer les camarades qui participeront aux réunions de la Métallurgie, celles de l’UL, rendre visite aux petites entreprises voisines, non organisées pour les aider à mettre en place le cahier de revendication et l’occupation. Il fallait que l’intendance suive, le gérant de la cantine était aussi en grève et il organisa, avec son équipe, l’approvisionnement et la composition des repas. Bien sûrs qui furent sollicités pour servir ? Les femmes qui occupaient. Les questions sociétales étaient encore loin de nous, par contre elles ne devaient pas rester dans l’usine au-delà de 22h.

Un certain nombre d’initiatives sont aussi proposées pour animer les après-midi. Tournois de football, jeux de cartes, d’échec mais aussi des rendez-vous culturels avec l’aide de Travail et Culture du Rhône. Nous aurons la visite de Roger Planchon du théâtre de Villeurbanne (pas encore le TNP) avec ses équipes de comédiens, des écrivains comme Bernard Clavel nous parlerons de leur métier, Maurice Moissonnier professeur d’histoire nous fera des conférences sur la Commune et les Canuts, des chanteurs, dont la fille du secrétaire général du syndicat de Berliet, se produiront ? Tout un environnement culturel qui aura ses répercussions après la grève, une commission culturelle est mise en place par le CE s’occupant de la bibliothèque, qui fut ouverte tous les après-midi pendant la grève, des abonnements au théâtre, plus d’une vingtaine, des visites d’expo etc..

Ce qui m’a particulièrement marquée c’est la participation massive aussi bien des ouvriers que des employés aux AG, les débats, et la convivialité. Des chants révolutionnaires tournaient en boucle Nous avions l’impression de construire un autre monde. Tout allait pour le mieux sauf que notre patron, qui était aussi président de la chambre de commerce et d’industrie, refusait de discuter des revendications. Le lundi de la Pentecôte, il se pointa avec la presque totalité des cadres et força le passage pour entrer dans l’entreprise.

On a frôlé l’incident. On s’était préparé à cette éventualité - là, des canons à eau étaient branchés, mais nous avions oublié que la commande était à l’extérieur et quand on a voulu les repousser, rien. Quelques- uns se sont énervés, un cadre a reçu une pierre sur la tête, heureusement sans gravité, l’autorité du syndicat a permis de calmer les occupants et ils sont entrés dans leurs bureaux. A 16h, une délégation a rencontré le patron pour lui demander quelle production avait été réalisée ? Aucune, donc ils lui ont signalé qu’il était inutile de se représenter le lendemain au risque d’être repoussés sans ménagement. Mr Peillon a donné l’ordre aux cadres de ne pas revenir. Mais ce n’est pas pour autant que les négociations qui avaient mis plus de quinze jours à s’ouvrir débouchaient sur des propositions acceptables. Heureusement que « les Berliet » avaient repris le travail, car ils avaient besoin de notre production et l’entreprise fit pression sur notre patron pour que les conditions de la reprise soient réunies. Le 24 juin nous fêtons la saint Jean, le prénom de plusieurs délégués et la fin de l’occupation. Nous rentrerons le lendemain en manif, drapeau rouge en tête, non sans avoir au préalable fait le tour de l’usine en compagnie d’un huissier pour rendre compte de l’état de l’entreprise Le patron se tournera vers ses cadres pour signifier « j’aimerais que l’entreprise soit aussi propre lors du retour des vacances »

En conclusion, deux observations.
- La démocratie a été le ciment de notre action, elle a mobilisé une très grande majorité de salariés. Sans cette démarche nous n’aurions pas pu tenir si longtemps
- L’occupation a permis aux ouvriers, aux employés, aux techniciens, aux dessinateurs, aux agents de maîtrise de mieux se connaître, de mieux se comprendre même si la spécificité étaient vécue par les ouvriers comme un frein à l’action, ils reconnaissaient que la démocratie avait aussi permis à ses personnels d’être dans l’action et irrécupérables par la direction. Cela ne gomma pas de nombreux débats, parfois passionnés, mais après 68 l’ambiance dans l’usine a complètement changée entre les ouvriers et les ETDA.

1968 c’est aussi la rampe de lancement de nombreux militants, ce fus mon cas, d’autant plus que la politique des cadres à la CGT mettait en avant la jeunesse, la féminisation, la diversité .professionnelle, politique, idéologique Je serais élue dans le deuxième collège aux DP ; je vais participer à la commission nationale des ETDA de la Fédération de la métallurgie, Je suis élue à la CE de l’USTM du Rhône, puis à la CE de la Fédération au congrès de 1971, puis au Bureau Confédéral de la CGT au 39° congrès en 1975.
Je ne fus pas la seule de l’entreprise à prendre des responsabilités, Jean Gléba secrétaire du syndicat ouvrier « montera » à la Fédération pour suivre les conditions de travail, et Bernard Vivant qui était dessinateur sera secrétaire de l’UL de Vénissieux avant de devenir secrétaire général de l’UD du Rhône quelques années plus tard puis secrétaire de la CGT.

1968 c’est une CGT rajeunie, dynamique ouverte, un banc d’essai pour la démocratie et de nouveaux rapports entre les salariés."


Jeannine Marest

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