Avec la volonté d’un régime unique, le gouvernement prépare un changement radical de notre système de retraite. Il ne fera que des perdants, y compris chez les retraités actuels. La Cgt est mobilisée contre ce projet. Elle agit et propose. Entretien avec Patricia Tejas, dirigeante de la Cgt.
Pourquoi une nouvelle réforme des retraites ?
Patricia Tejas : Cette réforme s’inscrit dans un vaste ensemble de déconstruction de notre protection sociale mise en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale grâce au programme du Conseil national de la Résistance. Un système conquis alors par les forces productives du pays et constituant le socle social qui a perduré jusque dans les années 80. Puis, les choses s’inversent. Des politiques libérales sont instaurées, impulsées par Reagan, Thatcher. Bon nombre de gouvernements sociaux-démocrates, comme en France, s’engouffrent dans la brèche. Dans les années 90, la chute du mur de Berlin et la modification des rapports Est-Ouest marqueront une ère nouvelle pour le capitalisme. C’est open bar pour les marchés financiers !
Une finance qui, depuis, non seulement n’entend rien lâcher, mais en veut toujours plus. Pour cela, rien de mieux que de mettre directement les siens au pouvoir pour capter sur la manne financière de plus de 400 milliards d’Euros que représente, chez nous, la protection sociale et l’offrir au marché de l’assurantiel. C’est à cela que s’attelle Emmanuel Macron depuis près de deux ans, notamment avec sa réforme systémique des retraites.
Patricia Tejas : Si la justice sociale était au cœur de la politique de Macron et de sa majorité, ça se saurait ! Malgré ce qui reste de nos amortisseurs sociaux, les inégalités et la pauvreté progressent, notamment chez les femmes et les retraités. Le gouvernement se contenterait, à travers cette réforme, d’assurer le minimum du minimum de protection sociale, et c’est tout ! Méfions-nous des leurres. C’est le contenu qui importe, pas le contenant. Ce projet de réforme des retraites répond aussi aux exigences libérales de la Commission européenne.
Le gouvernement avance l’idée d’un régime de retraite unique et universel. Est-ce souhaitable ?
Nous ne sommes pas favorables au régime unique. Les quarante-deux régimes particuliers résultent de notre histoire et de nos luttes. Au sortir de la guerre, certaines professions étaient très attachées aux systèmes de protection sociale existants avant la mise en place de la Sécurité sociale. Le gouvernement a besoin de les unifier pour mettre en place son système de points. Aujourd’hui, nous avons un système de cotisations définies avec des prestations définies. Les cotisations de tous ceux qui travaillent servent à payer les pensions de tous ceux qui sont en retraite. C’est solidaire entre les générations, sécurisant, lisible et prévisible. Je cotise, mais à n’importe quel moment de ma carrière, je peux me projeter et savoir ce que j’aurai à la retraite. Demain, c’est l’insécurité sociale instituée et généralisée. Je me ferai ma propre tirelire. Je sais, certes, ce que je mets dedans, mais dans 40 ou 45 ans, lorsque je la casserai, que vaudra-t-elle ?
La valeur du point sera fonction d’éléments aussi aléatoires que la soutenabilité des finances de l’État ou l’espérance de vie d’une génération donnée. En gros, pendant 40 ou 45 ans, je vais cotiser avec un bandeau sur les yeux. Mais au-delà, sur l’unification des régimes, il faut comparer ce qui est comparable. Prenons juste l’exemple des trimestres supplémentaires pour enfants, différents pour les fonctionnaires et les salariés du régime général. Sur quelle base les unifier ? Sur le mieux ou le moins disant ? Pour le gouvernement, la réponse risque malheureusement d’aller de soi… Toutes les simulations montrent que le régime unique, c’est perdant-perdant !
Patricia Tejas : Il faut d’abord que, d’une manière ou d’une autre, les travailleurs de toutes catégories et statuts reprennent la main sur la gestion de leurs retraites. Ensuite, il existe déjà des solidarités inter régimes. Les régimes spécifiques déficitaires sont compensés par le régime général. Mais souvent, cela se fait sans information, ni contrôle démocratique des premiers concernés. C’est pour cela que nous avançons l’idée d’une maison commune des régimes de retraite, conçue comme un lieu d’unité du monde des travailleurs mettant en commun la gestion de leurs intérêts, comme un espace où les forces s’additionnent au lieu de se diviser, comme un lieu à la puissance de tir indispensable pour construire un socle commun de garanties de haut niveau pour les retraites.
Patricia Tejas : Je rappelle que, pour nous, la Sécurité sociale, c’est l’arbre et ses cinq branches : la maladie (maladie, maternité, invalidité et décès), les accidents du travail/maladies professionnelles, la famille, la retraite et les cotisations/recouvrement. Nous voulons revenir à un régime universel, intégral, trans-générationnel et trans-catégoriel, revenir aux sources de la solidarité, à une Sécurité sociale où toutes les cotisations sont redistribuées par le salaire socialisé aux cotisants. C’est tout le contraire des directives européennes qui prônent l’individualisme via le recours aux marchés financiers et à l’assurantiel. L’argent existe, mais pas la volonté politique.
Nos propositions, réalistes, commencent à avoir de l’écho et pourraient faire consensus. Je n’évoque ici que les plus importantes : l’élargissement de l’assiette des cotisations à l’ensemble des revenus salariaux (intéressement, participation), mais aussi aux revenus financiers des entreprises, par une contribution sur les dividendes versés aux actionnaires, par la modulation des taux de cotisations des entreprises en fonction de la création d’emplois et des critères sociaux et environnementaux, la réduction du chômage ou encore l’égalité salariale entre les femmes et les hommes… Ce sont des dizaines de milliards de manque à gagner pour la protection sociale. Et sans parler du CICE…
Patricia Tejas : L’avenir n’est pas écrit et je ne suis pas pessimiste. Nous n’avons pas d’autre choix que d’élargir encore les mobilisations autour de nos propositions. Nous avons affaire à une remise en cause d’un projet de société. Toute la Cgt est concernée : actifs comme retraités du public et du privé. Les retraites sont assises sur une vie de travail. Les retraités sont donc d’abord des travailleurs. Leurs mobilisations irriguent le monde du travail et inversement. Ce sont des forces qui s’additionnent, qui donnent de la puissance à la puissance. Nous n’avons pas d’autre choix que d’accélérer le mouvement pour élargir et réussir les deux autres grandes journées interprofessionnelles et unitaires du 19 mars et des retraités le 11 avril.
Propos recueillis par Michel Scheidt
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