Si la pandémie de Covid-19 se solde par une véritable hécatombe chez les personnes âgées, elle a aussi déchaîné une vague de racisme anti-vieux. Réclusion, mensonges, infantilisation, triage sélectif… Réactions ponctuelles ou prémices d’une société discriminatoire ? Entretien avec Dominique Vidal, historien, journaliste et initiateur du Manifeste des « vieilles et vieux » réfractaires.
Vie nouvelle : En avril dernier, vous appelez les vieux à désobéir à Emmanuel Macron qui voulait maintenir le confinement des personnes âgées. Pourquoi ?
Dominique Vidal : Très vite, je découvre que 90% des morts du Codiv-19 ont plus de 60 ans. Les rumeurs sur un triage dans les hôpitaux s’amplifient. Les Ehpad sont complètement abandonnés sans moyens de défense. Et voilà que le 13 avril, Macron annonce que les vieux resteront enfermés plus longtemps que les autres après le 11 mai. Je réagis avec un article intitulé : « Halte au racisme anti-vieux », avec un exemple au hasard… À 67 ans, Brigitte Macron est-elle vieille ? Au-delà, juridiquement, comment justifier le fait de discriminer une catégorie de Français, sur la base de leur âge ?
Deux grandes intellectuelles, Sonia Combe et Régine Robin, me proposent alors de lancer un Manifeste des vieilles et vieux réfractaires. En une journée, les 121 premières signatures - référence symbolique à l’appel à l’insoumission contre la guerre d’Algérie - arrivent. Mediapart publie l’appel à sa Une qui se concluait ainsi : « Si Emmanuel Macron confirme que, malgré le déconfinement annoncé pour le 11 mai, les aînés devront rester confinés, nous, soussignés réfractaires, déclarons que le 11 mai, nous aussi, nous sortirons ».
VN : De nombreuses autres voix ont très vite soutenu votre indignation. Avez-vous été surpris par toutes ces réactions ?
D.V. : Pas du tout. Avec Jacques Toubon, Axel Kahn, Serge Klarsfeld, Marie de Hennezel... plus d’un millier de signataires se joignent à nous en une journée. Le 17 avril, le président fait volte-face. Le confinement prolongé des vieux n’est plus obligatoire. Hier, le gouvernement nous jugeait aptes à travailler jusqu’à l’âge-pivot de 64 ans, voire plus. Les chaînes de télé louaient ces aînés soucieux d’aider leurs enfants et leurs petits-enfants. Sans parler des milliers d’associations dont les animateurs ont des cheveux blancs. Bref, nous étions un pilier de la société. Et voilà qu’en quelques jours, nous en devenions un rebut. Tout juste bons à rester enfermés jusqu’à la Saint-Glinglin… Scandaleux ! Comme chat échaudé craint l’eau froide, nous publions alors un ultime appel. Indiquant au chef de l’État que s’il changeait à nouveau d’avis et revenait à cette mesure discriminatoire envers les anciens, ceux-ci se dresseraient à nouveau pour la défense de leurs droits et libertés.
VN : Le 22 avril dernier, Le Canard enchaîné révélait l’existence d’une circulaire appelant à limiter l’admission en réanimation des personnes les plus fragiles. Sur votre blog de Mediapart, vous réagissez par un article intitulé : « Euthanasie ? Euthanasie ! ». La ponctuation en dit long ?
D.V. : Cette circulaire de la honte a des effets immédiats1. Entre le 21 mars et le 5 avril, le pourcentage de patients de plus de 75 ans placés en réanimation tombe de 19 à 7%, et celui des plus de 80 ans de 9 à 2%. Il faut bien comprendre la rupture qualitative que représente ce document. Qu’un médecin décide en son âme et conscience du sort de son patient n’est pas nouveau. Mais là, ce sont six médecins qui, le 19 mars 2020, signent un document officiel de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France qui, avec la caution du ministère de la Santé, condamne, de fait, à mort des milliers de personnes. Le texte intégral est accablant. Non seulement il réduit l’accès des personnes fragiles à la réanimation, y compris si une place de réanimation est disponible. Mais la destination des refusés est claire : « Chez ces patients non-admis en soins critiques, les soins ne sont pas interrompus, mais s’intègrent dans le cadre d’un accompagnement en collaboration avec les spécialistes d’une telle prise en charge palliative afin d’assurer une absence de souffrance et une fin de vie digne et apaisée, en présence de leurs proches ». Un syndicat de médecins estimait, à la fin avril, à 9 000 le nombre de décès à domicile, des milliers de victimes qui s’ajoutent au bilan du Covid-19.
VN : Qu’en termes galants ces choses-là sont dites…
D.V. : En effet. En clair, les signataires envoient des milliers de vieux à la mort, y compris dans les Ehpad qui cherchent en vain à faire hospitaliser leurs pensionnaires malades. Plus terrible encore : selon certaines sources, on aurait autorisé un temps le recours au Rivotril, un sédatif profond, pour donner la mort aux personnes âgées, sans intervention d’un juge ni approbation collégiale de plusieurs médecins ni consultation des familles et, surtout, sans l’avis des intéressés. Le décret date du 28 mars 2020 et porte le numéro 2020-3602. Seule une enquête judiciaire permettra de vérifier si ce produit a été utilisé pour euthanasier des personnes âgées contaminées.
VN : Ça n’a pourtant pas gêné quelques intellectuels de continuer à répandre ce poison eugéniste. Comme s’ils n’avaient rien retenu de l’histoire ?
D.V. : Rien du tout en effet. André Comte-Sponville s’est demandé « ce que c'est que cette société qui est en train de faire de ses vieux la priorité des priorités ». Mais quelle priorité ? Mourir ? Fondatrice du Centre d’éthique clinique (Cec), Véronique Fournier a lâché : « Ce qui fait sens au plan éthique à 20 ans ne pèse pas le même poids à 70 ans. » Même refrain chez Emmanuel Todd : « On ne peut pas sacrifier la vie des jeunes et des actifs pour sauver les vieux. » Quant à Christophe Barbier, ineffable chroniqueur à l’écharpe rouge, il dénonçait les soixante-huitards qui ont vécu les années 60 en ces termes : « Ils étaient jeunes au moment du rock and roll. Ils ont épanoui leur sexualité entre la fin de la syphilis et le début du sida. Bref, ce sont des enfants gâtés. À un moment donné, pour sauver quelques vies de personnes très âgées, on va mettre des milliers de gens au chômage ? La vie n’a pas de prix. Mais elle a un coût pour l’économie. » Du pur eugénisme. Comparaison n’est évidemment pas raison. Mais l’histoire montre qu’un engrenage effrayant peut happer nos sociétés. On commence par les vieux. Et après ?
VN : Vous dites que, si cette catastrophe vous a fait vieillir en quelques jours, elle vous aura finalement fait rajeunir… Vous avez une recette ?
D.V. : Se battre, ça fait rajeunir ! Le combat que nous avons mené a eu un profond écho parmi de nombreuses personnes âgées et des jeunes. En témoignent les milliers de messages que nous avons reçus via Internet, Facebook, Twitter et le courrier électronique. Avoir fait reculer Macron sur sa décision la plus provocatrice ne suffit pas. Nous devrions, je crois, poursuivre notre effort pour constituer un véritable lobby capable de défendre les personnes âgées. C’est-à-dire le caractère civilisé de notre société.
Propos recueillis par Michel Scheidt pour Vie nouvelle
1 Circulaire du 19 mars 2020, réf. :LAT-REA-Covid 19, www.ilsdefrance.ars.sante.fr
2 www.legifrance.gouv.fr
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis