La phrase du Président, « Les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder », n’est pas une maladresse. Il s’agit bien de désigner à la vindicte populaire les non-vaccinés qui seraient responsables de la saturation des hôpitaux. Cela lui permet de dédouaner sa politique de démantèlement de l’hôpital public et de la poursuivre, pour des objectifs inavouables.
On peut regretter que des personnes soient réfractaires à la vaccination, mais ce n’est pas en déniant leur qualité de citoyens et en les menaçant que l’on convaincra la très grande majorité de ceux qui, sans être « anti-pass » ne s’y sont pas encore résolus.
La grossièreté et l’agressivité du propos présidentiel sont à la mesure de son embarras. Les non-vaccinés ne peuvent être tenus pour responsables de l’état d’asphyxie dans lequel se trouvent l’hôpital public et les services publics. Ce sont des décennies de réduction d’effectifs et de moyens qui ont désorganisé l’hôpital, l’éducation nationale, la recherche, les transports ; et Emmanuel Macron en est le parfait continuateur. D’où les incohérences de la gestion de la pandémie et la crise de défiance à l’égard de l’exécutif.
Avec l’apparition des virus et notamment depuis deux ans, il était évident qu’il fallait renforcer considérablement, en moyens, en effectifs, en recherche et en formations, notre système de santé. Rien ou presque n’a été fait depuis, au contraire. Les suppressions de lits se poursuivent même pendant la pandémie, 5 700 en 2020 ! Les personnels soignants épuisés désespèrent aujourd’hui de trouver des renforts, la faiblesse des salaires et la dureté du métier étant particulièrement dissuasives.Résultat : l’hôpital est à bout de forces, les déprogrammations de soins jugés « non urgents » se multiplient.
L’austérité imposée aux soignants, aux enseignants, aux fonctionnaires et aux retraités, recommandée par la Commission européenne, a rendu les États incapables de faire face à la pandémie. Au point que l’Europe est le seul continent avec l’Afrique à ne pas trouver ni fabriquer ses propres vaccins. Alors qu’un petit pays comme Cuba en produit cinq et a vacciné la quasi-totalité de sa population. La réduction des dépenses publiques demeure pourtant la ligne du gouvernement Macron, « quoi qu’il en coûte »…
L’explication n’est ni conjoncturelle ni anecdotique : c’est le cœur de la stratégie des grands groupes financiers et des multinationales, qui ont décidé de développer la privatisation et la marchandisation de la santé et de s’accaparer les dépenses qui lui sont consacrées. Emmanuel Macron a été porté au pouvoir pour poursuivre cette mission : décrédibiliser les services publics au nom de l’efficacité, affaiblir leurs syndicats et faciliter le transfert au privé de leurs secteurs les plus rentables. Après les télécoms, particulièrement juteux, c’est le tour de la santé.
Mais ce n’est pas seulement la médecine classique qui est visée. La technologie appliquée à l'univers de la santé s’avère plus rentable encore que celle de la santé traditionnelle. Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), investissent massivement le marché américain de la santé. Google a même conclu un partenariat stratégique avec la fédération hospitalo-universitaire américaine pour « redéfinir la prestation de soins de santé » et « accélérer le rythme des innovations » à l'hôpital grâce à ses technologies. Désormais très présents en France via diverses applications, ils rassemblent et centralisent les données de santé des utilisateurs de smartphones et autres objets connectés aux fins d’exploitation commerciale.
La crise sanitaire a familiarisé le grand public avec des services de télémédecine et les infos santé sur internet. Une belle opportunité pour les Gafam. Et on peut parier que la réforme de l’hôpital que prépare très discrètement Emmanuel Macron pour l’après-présidentielle leur facilitera la tâche.
Mais la crise sanitaire a aussi révélé les conséquences désastreuses des politiques et de l’idéologie néolibérale pour la santé, l’éducation, l’activité économique et la préservation de la planète. D’où l’urgence pour les tenants du libéralisme, d’Éric Zemmour à Emmanuel Macron en passant par Marine Le Pen et Valérie Pécresse, de trouver des boucs émissaires : les migrants, les musulmans, les non-vaccinés, les gilets jaunes, les retraités, les fonctionnaires, les syndicats, les Chinois et la liste n’est pas close…
Demain, si nous laissons faire, pour se soigner et s’éduquer, pour se déplacer et communiquer, il faudra payer cher. Et, comme le proclamait une pancarte dans une manif : « Quand tout sera privé, nous serons privés de tout ».
Ne pas laisser faire, c’est agir partout pour maintenir et renforcer les services publics nationaux et régionaux de santé à commencer par l’hôpital, développer les services publics de proximité, développer la recherche et les industries françaises dans le secteur, de la fabrication des masques et des tests jusqu’aux prothèses et services médicaux, combattre la pénétration des Gafam sur le marché français et européen, en réglementant strictement l’utilisation des données personnelles. Faisons partager cette idée de bon sens : la santé et le corps humain ne sont pas des marchandises !
Pascal Santoni
Photo de Une : Source : collectif inter-hôpitaux
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