Ariane Clément est canadienne. Elle photographie avec bonheur le corps des personnes âgées. De magnifiques clichés illustrent le très beau document qui rend compte de l’enquête. Interrogée sur son travail, elle mesure combien « les personnes âgées ont envie de combattre les tabous, de redéfinir les normes de beauté, de sortir de l’invisibilité que la société leur impose et de rassurer les plus jeunes sur la richesse de leur vie et sur une sexualité qui peut être toujours épanouissante. »

Quelques chiffres rafraîchissants

D’après l’étude, 10 millions de personnes vivent à deux et, jusqu’au grand âge, à les écouter, leurs sentiments amoureux perdurent. Quel que soit leur âge, ils et elles considèrent que l’essentiel en ce domaine est la complicité, le rire et les confidences. 7 sur 10 considèrent qu’un corps qui vieillit peut rester désirable. 4 personnes sur 10, âgées de 80 ans et plus, se trouvent séduisantes. Quant à leur activité sexuelle, 1 sur 2 estime avoir des relations intimes satisfaisantes. Les lieux de convivialité pour réaliser des rencontres sont plébiscités, malgré, trop souvent encore, la pression et le frein des enfants en ce domaine !

À consolider

Ce constat réjouissant ne saurait tomber du ciel, fût-il le septième ! Bien entendu, les moyens et conditions d’existence conditionnent l’accès à cet épanouissement. C’est le socle sur lequel cette étude avance quelques préconisations comme la nécessité de lutter contre l’exclusion numérique, renforcer la politique de soutien aux couples âgés sur les questions intimes, favoriser les transports, inclure ces questions dans les ateliers proposés par les caisses de retraite, former, donner les moyens et reconnaître à sa précieuse valeur le travail des personnels qui interviennent auprès des personnes âgées. Et enfin, faciliter la vie en couple en établissement, ce qui sous-entend une nécessaire refonte de la tarification.

Une affaire publique

Cette étude attire notre attention sur le fait que, contrairement au droit au respect de la vie privée, le droit à une vie intime ne figure pas dans les textes officiels. Pour les personnes âgées, seul le Livre 3 du Code de l’Action sociale et des familles y fait référence… mais ne concerne que les personnes en situation de handicap ! La vieillesse ne saurait être un handicap. Pourtant, dans les deux portails en ligne officiels destinés aux personnes âgées et à leur vie affective et intime, on aborde la sexualité sur le seul angle médical. Pas très glamour ! Plus généralement, l’approche gouvernementale persiste à amalgamer âge et handicap lorsqu’elle aborde ces questions. Notons qu’aucune attention particulière n’est, par ailleurs, portée sur la prévention et le dépistage du VIH et des infections sexuellement transmissibles, alors que l’on assiste à une élévation préoccupante de ces infections chez les 60-69 ans, « héritiers d’une génération venue des années1960 où le sujet n’était pas abordé… et qui peuvent ne pas se sentir concernés par le préservatif. »

Enfin, on parle beaucoup des aidants, de leurs difficultés, de leurs souffrances, de l’absence de reconnaissance dont ils sont l’objet. Cette étude pointe, à ce propos, le manque de travaux sur la réalité et le devenir de la relation de couple lorsque l’on vit avec une personne avec qui on ne peut plus partager cette proximité amoureuse et qui devient un étranger là où il était, hier encore, un tendre complice.

Parlons-en

En guise de conclusion, cette étude constate que les personnes âgées (mais pas qu’elles) sont souvent prises en étau entre la norme sociale, qui leur imposerait le silence sur les questions de sexualité, et leur envie de parler de leur vie intime. Parler de sexualité est, au départ, difficile parce que les personnes âgées (mais pas qu’elles) ont besoin de s’affranchir des conventions et des règles qui les ont forgées tout au long de leur vie. En matière de vie affective, intime et sexuelle des personnes âgées, « Le grand enjeu…, peut-on lire dans cette étude, …c’est de s’atteler à une réflexion courageuse et sincère, d’ordre éthique, sur les conditions qui permettent de garantir les libertés fondamentales de chacun en la matière. » À n’en pas douter, ce débat ne va donc pas manquer de grandir parmi les plus jeunes générations de retraités. Si ce n’est déjà le cas ! Ainsi va la vie et puisqu’aujourd’hui tout est en débat, débattons aussi vivement de la valeur et du droit au travail, de la nécessité d’une retraite décente aussi bien que du droit… à la caresse !

Pierre Corneloup

 * Étude de l’association Les Petits frères des pauvres intitulée "Vie affective, intime, sexuelle des personnes âgées et politiques publiques", reposant sur un échantillon de 1 500 personnes de 60 ans et plus, représentatif de la population française métropolitaine.