Face à la tour Eiffel, le Palais de Chaillot accueille jusqu’en 2018 « Nous et les autres, des préjugés au racisme » : une exposition interactive sur la discrimination. Salutaire dans une France qui penche à l’extrême droite et au moment où les racistes américains relèvent la tête.
Au Trocadéro, un groupe d’ados raille les touristes qui profitent de la vue sur la tour Eiffel. Moqueries sur l’obésité de deux Américains ou sur l’appareil photo d’un Asiatique : voilà qui contraste avec ce que ces lycéens s’apprêtent à voir. Depuis mars, le musée de l’Homme s’attaque aux discriminations avec « Nous et les autres, des préjugés au racisme » : une exposition qui documente le racisme pour mieux le déconstruire. Notamment en nous confrontant à nos propres préjugés.
« Bienvenue », viennent de nous dire des enseignes lumineuses en plusieurs langues. Dans une pièce ronde, sont projetées des scènes de la vie quotidienne. Un métro, un café : nous voilà entourés d’inconnus qui vont, devant nos yeux gênés, être rangés dans des cases. « Femme », « bobo », « pauvre », « musulman »… Dérangeant mais étrangement familier. Et pour cause. « De façon inconsciente, nous plaçons tous les gens dans des catégories », explique une voix off. « Moi, jamais ! », s’insurge-t-on intérieurement. « Catégoriser est un processus universel de notre fonctionnement cognitif », réplique la voix. Bon.
Mais si le processus est naturel, comment dérive-t-il vers le racisme ? La voix détaille : « catégoriser peut conduire à réduire les personnes à une seule caractéristique, et donc à développer des préjugés. » De là au racisme, ne reste qu’un pas : traiter de manière inégalitaire celui qui est différent de soi. D’une effrayante banalité.
Pour ceux qui croient encore que « catégoriser, c’est pour les autres », passons à la salle suivante : « l’aéroport des préjugés ». Sur les bancs d’une fausse salle d’embarquement, des tests interrogent nos stéréotypes. Comment voyons-nous les autres ? Comment, eux, nous perçoivent-ils ? À la sortie, coup de grâce : les portiques crachent des jugements hâtifs à notre passage. « Tu dois cuisiner épicé ! » lance un haut-parleur. « T’es un voleur, c’est sûr ! » accuse un autre.
Le décor est planté et le spectateur prêt à affronter l’Histoire dans la peau d’une personne discriminée. De la conquête de l’Amérique à la ségrégation raciale, l’exposition revient sur l’esclavage, la colonisation, le lynchage des noirs. Affiches d’expositions coloniales, boîtes de Banania ou goniomètre – appareil utilisé pour mesurer les crânes « indigènes » : le malaise s’intensifie. Et il va durer. Dans un dédale de pièces qui enferment dans les événements les plus graves comme certains s’enferment dans leurs préjugés, le visiteur revit les drames auxquels le racisme a mené : l’Holocauste ou le génocide au Rwanda.
Retour au présent avec la « data room » qui permet de constater – si besoin est – la persistance des discriminations à l’embauche, au logement, etc. La valse de chiffres y donne le vertige et une nausée salutaire en ces temps où – comme dans les périodes les plus sombres de l’Histoire – la parole raciste ne cesse de se libérer.
Camille Drouet
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis