Depuis huit mois, dans une banlieue populaire de Lille, il existe une grande surface qui appartient à ses clients. Poussons la porte de Superquinquin, l’un des quatre supermarchés collaboratifs au monde.
Au bout d’une rue de maisons de briques rouges se dresse le clocher pointu de l’église de Fives, commune populaire qui borde la capitale des Flandres. Avec sa devanture grise et sa vitrine flanquée d’un logo en forme de mini super héros, un magasin dénote. Son nom : Superquinquin. Sa devise : « Le supermarché dont vous êtes le héros. » Ce qui était jadis un atelier de menuiserie est devenu il y a huit mois un des quatre supermarchés solidaires et participatifs au monde. Les autres ? Ils se trouvent à Bruxelles, Paris et New York.
« C’est un projet porté par des citoyens désirant créer une alternative à la grande distribution classique en proposant des produits de qualité à des prix accessibles », résume Nicolas Philippe, coordinateur à Superquinquin.
Plus concrètement, comme dans un supermarché classique, on remplit son panier à roulettes, on compare les prix et on passe à la caisse. Mais ici, pas de frénésie commerciale, pas de choix à outrance, pas de hauts parleurs qui déversent annonces publicitaires et derniers succès commerciaux braillards, pas de têtes de gondole, ni de marketing inutile. Ici, les étagères sont en bois brut, la musique agréable et variée, l’ambiance conviviale. Ici, le client n’est pas roi. Il est sociétaire, patron et employé.
Le mot d’ordre chez Superquinquin : si on veut acheter, on participe. Pour avoir le droit d’arpenter les 300 m2 de Superquinquin, le client doit en effet acquérir au moins une part de la société – « qui ne génèrera jamais de dividendes », précise le coordinateur – et donner trois heures de son temps chaque mois. En échange, il obtient des prix plus qu’abordables pour des produits de qualité, la plupart du temps bio et sourcés localement. « Le travail de tous permet de faire baisser les prix », résume dans son large sourire Nicolas Philippe. Résultat : les six premiers mois, plus de 850 personnes sont devenues « consomm’acteurs ». Reconnaissables à leurs tabliers verts, ils sont en permanence une demi-douzaine à mettre en rayon et à tenir les caisses.
Circuits courts et absence d’intermédiaires permettent eux aussi de serrer les prix. Et de rétribuer à leur juste valeur les producteurs locaux. L’avocat coûte 86 centimes. Le kilo de carottes, de pommes ou de poires revient à environ 1,50 euros. Le tout sans pesticides et produits dans le coin. Ecologique et citoyen, le magasin mise aussi sur le vrac. Dès l’entrée, des dizaines de bocaux remplis de céréales, de pâtes, de fruits secs ou de biscuits accueillent le chaland.
« Nous vendons aussi quelques produits conventionnels », précise Nicolas Philippe. Dans les rayonnages, la Jupiler côtoie les bières biologiques ; la moutarde premier prix, les baies de goji ; les bouteilles de jus bio consignées, des packs de Cristalline. « Le but n’est pas de n’attirer que quelques adeptes du bio qui ont les moyens. Mais de pouvoir composer un panier avec de bons produits pour toutes les bourses. » Pour favoriser la mixité sociale et générationnelle dans le supermarché, la part de Superquinquin a été abaissée à 10 euros pour les étudiants et les bénéficiaires de minimas sociaux, contre 100 euros pour les autres.
Rien de tel pour attirer les gens du quartier. Comme Armelle, la cinquantaine, qui a poussé la porte de Superquinquin il y a quinze jours. « C’est pratique et j’ai plus confiance pour la qualité des produits par rapport à la grande distribution. Et puis, j’ai l’impression de mettre un peu de moi et de faire vivre le quartier. »
Comme beaucoup de beaux projets, Superquinquin est né d’un rêve un peu fou. « À cinq autour d’un verre », croit-on comprendre. Après une première réunion publique en janvier 2016 et un beau succès sur les réseaux sociaux, le chantier participatif démarre. Il n’aura fallu que trois petits mois pour penser le lieu, nettoyer, fabriquer les rayonnages de bois, mettre en place un système informatique, trouver les premiers fournisseurs… Le tout avec les compétences de chacun et l’aide de La Louve, le supermarché cousin parisien, inauguré quelques mois plus tôt, qui a fourni des conseils techniques. « Faire mes courses est devenu agréable. Ce geste a repris du sens », raconte Lise, 31 ans, dans son tablier vert.
Aujourd’hui, elle a tenu une caisse, réceptionné une livraison et mis des produits en rayons. « Je joue à la marchande, s’amuse-t-elle. Et j’y trouve mon compte. Je sais que mes achats sont le fruit d’une réflexion humaine, éthique et collective. Et non commerciale. Et je préfère donner de l’argent à un petit producteur du coin qu’aux Carrefour et compagnie », conclut l’étudiante.
Le but de Superquinquin n’est pas de faire des bénéfices. La marge est fixe. Quel que soit le produit, elle est de 20 %. « D’un point de vue commercial, c’est une aberration totale ! », s’esclaffe Nicolas Philippe. « On veut juste que les gens connaissent le prix des choses. De toute façon, les parts ne prennent pas de valeurs, tout est réinvesti. »
Bien qu’inauguré un 1er avril, le projet n’a rien d’une blague. Il tient plutôt de la belle utopie qui fonctionne. Et si son nom peut sembler rigolo, il renvoie pour les Nordistes à la berceuse populaire du P’tit Quinquin (« le petit enfant », en ch’ti) devenue hymne populaire et officieux de la ville de Lille. « Comme lui, on est petit dans un monde de gros, mais on y croit », confie Nicolas Philippe. Avec déjà près de 2000 références en rayons, le petit Superquinquin voit grand. Et il a raison. Si tout va bien, il s’étendra dans les prochains mois sur plus de 1000 m2.
Camille Drouet
Crédit photos : Camille Drouet
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