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Alzheimer. Voyager, c’est guérir un peu

Dans une maison de retraite du Nord, on traite les patients atteints de la maladie d’Alzheimer en les faisant monter à bord d’un train factice. Cette « thérapie du voyage » est une première en France.

Écrans qui annoncent les trains au départ pour Nice, Paris ou Reims ; bancs de bois où patienter ; horloge et valises au sol : tout est là pour prendre la direction des quais. Sauf que nous ne sommes pas dans une gare mais dans l’une des salles du Pôle d’activités et de soins adaptés (PASA) d’une maison de retraite associative de Valenciennes, dans le Nord. Située sur les berges de l’Escaut, La Treille propose aux résidents atteints de la maladie d’Alzheimer d’embarquer dans un faux train, pour une séance de « thérapie du voyage ». Le but de cette première en France : lutter contre certains effets de la maladie neuro-dégénérative qui touche 850 000 personnes en France*.

Du guichet à la porte du wagon que nous nous apprêtons à pousser, le décor est fait d’autocollants géants. À l’intérieur, l’illusion se poursuit pour le patient voyageur qui s’installe sur son fauteuil en cuir. La fausse vitre du train a son graffiti. Le compartiment, son écriteau : « Ne rien jeter par les fenêtres », en quatre langues. Pour que le train « démarre », le soignant active le grand téléviseur qui tient lieu de fenêtre. Les arbres défilent. Au loin, on aperçoit des maisons, puis un ruisseau. Le bruit hypnotique du wagon sur les rails devient alors parfois propice au dialogue.

En partance pour les souvenirs

Emmanuelle Tiry, la directrice de l’Ehpad, se souvient du premier trajet virtuel d’un « monsieur un peu triste, renfermé. Pas désagréable, mais pas bavard. Il ne répondait aux questions que par des phrases très courtes ou des monosyllabes. » Une seule question avait alors suffit pour lancer une longue discussion dans le wagon, raconte-elle. « Des souvenirs sont revenus et on ne l’arrêtait plus ! » Désormais, il se rappelle les personnes rencontrées dans le train virtuel alors que sa mémoire à court terme, très altérée par la maladie, lui fait normalement défaut.


Emmanuelle Tiry, directrice de l’Ehpad de Valenciennes, et son équipe invitent
les malades d’Alzheimer dans l’illusion d’un voyage qui leur redonne sourire et apaisement.

Ici, quatre résidents des quatorze que compte l’Unité de vie Alzheimer sont éligibles à la thérapie. La façon de procéder est toujours là même. Comme beaucoup de choses, ici, elle commence par le dialogue : « Vous voulez partir ? », interroge un soignant. En cas de réponse positive, le processus s’engage : « Moi je pars demain matin, vous voulez venir avec moi ? » Rendez-vous est pris. Pas de valise, on enfile juste son manteau. Le patient part à l’heure prévue, avec un thérapeute habillé en civil.

Fugues organisées

L’illusion est totale pour ces personnes aux capacités cognitives restreintes par la maladie. « Nous ne leur mentons pas, défend Emmanuelle Tiry. Nous répondons à leur besoin de partir. » En effet, un des symptômes visibles de l’Alzheimer, c’est la déambulation. Ce besoin irrépressible de marcher explique le désir de fugue et les errances de bon nombre de malades. « Ici, on organise cette fugue », résume la directrice, intarissable sur la méthode venue d’Italie.

Elle raconte le cas d’une autre résidente. « C’était une petite dame menue, triste, fragile et épuisée. » Équipée d’un podomètre à son arrivée à La Treille, elle parcourait plus de dix kilomètres chaque jour. Et puis, elle a embarqué pour la « thérapie du voyage ». Vingt minutes par séance, quelle que soit la destination. Aujourd’hui, dans sa jupe à carreau et son petit gilet gris, elle est toujours désorientée, elle pleure encore sans raison apparente et perd le fil des conversations. Mais elle a repris 10 kg et ne déambule plus que 2 à 5 kilomètres par jour. « On ne fait pas de miracles mais les résultats sont là, s’enthousiasme la directrice. Cette dame qui ne parlait plus, communique. » Ça semble trop beau pour être vrai. Et pourtant au détour d’un couloir, on l’entend : « Je pars en voyage ! La prochaine fois, je vais emmener mes petits-enfants ».

Apaisement garanti

Le voyage inaugural a eu lieu en novembre 2016. Baisse de l’agitation, des troubles du comportement : « Le personnel de l’Ehpad ne s’attendait pas à des résultats si spectaculaires », confie Emmanuelle Tiry. « Le voyage a un effet indéniable sur les angoisses », souligne-t-elle. « Cette pathologie est anxiogène. Et l’anxiété fait souffrir les malades. » La thérapie alternative réduit leurs inquiétudes sans avoir recours aux médicaments psychotropes. « Le voyage les détend naturellement. Veiller à leur bien-être fait partie de notre travail. On ne sait pas si ça ralentit la maladie, mais ils descendent du train avec le sourire. »

Le trajet fini, les mots « Welcome home » accueillent le patient de retour dans son unité. Partir est important, revenir tout autant. Les unités Alzheimer sont des lieux très sécurisés. Fermés, ils rassurent les malades, tout comme ils les enferment. « Ici, c’est un refuge, mais pour s’y sentir bien, il faut aussi en sortir. Même si c’est juste une illusion », analyse Emmanuelle Tiry.

Nouvelles destinations

Toujours en phase de test, la thérapie a été ouverte à d’autres résidents de l’Ehpad. Sur le quai factice, les hyperanxieux ont rejoints les malades d’Alzheimer. Elle a également été récompensée lors de la remise des Trophées régionaux de l’innovation sociale, qui distinguent les projets innovants destinés à améliorer le bien-être et la qualité de vie de personnes fragilisées. Prochaine étape : demander à la SNCF l’autorisation de filmer d’autres paysages par les fenêtres de ses trains pour s’adapter aux saisons ou aux goûts des résidents.

Il paraît que les voyages forment la jeunesse. À l’Ehpad de la Treille, ils semblent aussi adoucir la vieillesse. « Le voyage, même illusoire, est une fenêtre sur l’extérieur, sur la vie, sur les souvenirs », explique d’une voix douce Emmanuelle Tiry.

En quittant l’établissement, une dame aux cheveux courts fixe la grande baie vitrée de la salle commune. Les yeux dans le vague, elle n’écoute pas les conversations autour d’elle. Elle sourit et fredonne. C’est du Piaf : « C’est payé, balayé, oublié, je me fous du passé ! »

Camille Drouet

* Chiffre publié par l’association France-Alzheimer en juin 2017.


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