Le confinement a rendu indispensable l’utilisation des réseaux numériques pour communiquer et rompre l’isolement. Sauf pour ceux qui en sont privés ou peu familiers avec leur utilisation. Retour sur le colloque initié par l'UCR-CGT en janvier dernier qui avait balayé les enjeux majeurs liés au développement de ces technologies.
« Nous vivons une grande période de révolutions : révolutions numérique et technologique, révolution écologique sont de grands enjeux pour l'avenir et le rythme des évolutions s'accélère. Mais nous vivons dans un monde en péril : péril écologique, social, démocratique. Il y a donc urgence à ouvrir des perspectives nouvelles loin des choix de toujours plus de profits pour quelques-uns au détriment de l'humain. »
Annie Bertelle, membre de l'espace Enjeux de société de l’UCR-CGT, a introduit la journée en jetant les bases des réflexions à venir, rappelant que la fracture numérique concerne les personnes âgées (27% des 60 ans et plus n'utilisent jamais internet et 42% des plus de 80 ans). À propos des algorithmes qui dominent de plus en plus nos vies, « ils devraient nous servir d'outils et non nous dominer ». Résumant les grands enjeux dans la maîtrise des nouvelles technologies et notamment ceux liés à la démocratie, Annie Bertelle a souligné l'importance de lutter contre la fracture numérique, d'exiger des services publics accessibles à tous et d'interpeller les pouvoirs publics à tous les niveaux : local, national, européen voire international, afin de peser sur les choix de société.
Pierre Musso, philosophe et professeur de sciences de l'information et de la communication à l'université de Rennes 2, a replacé, quant à lui, la révolution informatique dans un temps long, en rappelant sa genèse. Depuis 50 ans, cette nouvelle technologie a opéré un changement complet du système de production. Exemple : aujourd'hui, un avion est conçu à 98% sur un système d'informations simulé et par une mise en connexion d'entreprises à l'échelle mondiale, même chose pour 95% de sa maintenance. Puis, il a livré un passionnant exposé sur les mythes que génère cette nouvelle technique : elle serait révolutionnaire en elle-même et amènerait forcément le progrès. Or, toute technique est un choix de société et par là-même, elle est à interroger. Et de revenir sur les géants du Web, les fameux Gafa (Amazon, Google, Facebook, Apple...) qui fonctionnent sur la captation de l'attention de chacun et le recueil des données personnelles, en citant le fameux « bouton bleu » qui rassemble toutes les données de santé d'un citoyen. Méfions-nous de ne pas décharger l'utopie sociale et culturelle sur l'utopie des techniques, a dit en substance l'éminent professeur.
Les questions n'ont pas manqué de fuser dans la salle après son intervention : qu'en est-il des compteurs Linky utilisés pour faire davantage de profits ? Qui décide de nos vies ? Que penser de l'arrivée de la 5G ? Que dire des politiques de service public qui rejettent ceux qui ne sont pas connectés ?... Une interrogation qui fut au cœur de l'intervention de Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits, qui a affirmé l'urgence de rétablir des services publics avec des guichets pour informer les usagers : « Si nous n'y revenons pas, c'est un déni de service public ». Si une maison des services publics peutêtre une bonne solution à ses yeux, encore faut-il qu'elle regroupe des correspondants des différents organismes (retraite, Sécu...). Rendez-vous a été lancé chez le Défenseur des droits avant fin mai.
Autre sujet abordé par Dominique Noguères, avocate et vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme : les menaces qui pèsent sur nos libertés. Alors que les outils de surveillance basés sur des algorithmes comme la reconnaissance faciale se déploient, que des mesures sécuritaires, au départ temporaires, deviennent permanentes et que les fichiers se multiplient, le contrôle de leur traitement est confié à des entreprises privées et échappe au domaine public. Problème encore, l'accès à la justice qui est un droit fondamental se fait par voie numérique avec des risques d'erreur. Du coup, certains renoncent à leurs droits. Là encore, les questions n'ont pas manqué dans la salle : Que penser de l'extension du Fichier national des empreintes génétique ? Est-on dans un État policier ? Quid du contrôle des salariés via Facebook ?…
Enfin, le médecin urgentiste Christophe Prudhomme est venu clôturer le colloque en fustigeant les propos de la ministre de la Santé assurant que le numérique allait sortir l'hôpital de sa mort clinique. « À quoi sert la télémédecine ? Est-elle là pour améliorer la prise en charge des patients ou pour faire des économies ? » Question centrale quand on sait, que derrière, de puissants lobbies en tirent profit. « Aucune technique ne peut remplacer l'humain », a martelé l'urgentiste.
Entre les différentes interventions et les nombreuses questions de la salle, le colloque a permis de balayer une multitude de sujets soulevés par l'avènement du numérique et d'éclairer pas mal de lanternes.
Amélie Meffre
Les interventions sont à retrouver sur : https://www.ucr.cgt.fr, rubrique UCR et vous -12eCongrès.
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis