En votant la réforme des retraites, la majorité des élus de l’Assemblée nationale et du Sénat a trahi les millions de Français venus exprimer leur désaccord dans la rue. Vont-ils en faire de même pour la réforme de la prise en charge de la dépendance qui sera examinée dans la foulée?
La notion de dépendance -à laquelle nous préférons celle d’aide à l’autonomie- renvoie à l’idée de besoin de soins, mais aussi d’assistance aux gestes de la vie quotidienne nécessitant la mise en place de réponses adaptées et évolutives. Elles s’intègrent totalement dans les fondements de la protection sociale : Faire face aux aléas de la naissance à la mort.
Avec le concours de Pascal Champvert, président de l’association des directeurs de maisons de retraite, et Françoise Vagner, secrétaire générale de l’UCR-CGT, nous abordons dans ce dossier plusieurs aspects de cette prise en charge face aux projets parlementaires et gouvernementaux.
Prise en charge de la dépendance :
Publique ou privée, un choix de société
Si ce texte de la réforme de la prise en charge de la dépendance est approuvé tel quel, le gouvernement offre la couverture du risque dépendance aux lobbies des assurances. Un cadeau somptueux de plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires qui grossiraient les profits du secteur de l’assurance et de la banque.
L'aide à domicile permet aux personnes en perte d'autonomie de rester le plus longtemps possible chez elles. (Photo Allaoua Sayad).
Mettre dans l’escarcelle du privé la prise en charge de la dépendance est un déni du concept d’égalité et de fraternité, fondateur de notre Constitution. Fini les projets de cinquième risque dans la Sécurité sociale ! Fini la prise en charge du handicap tout au long de la vie. Par contre, obligation pour toute la population, dès 50 ans, de souscrire une assurance perte d’autonomie… privée bien sûr, même si certaines mutuelles la proposent ! Création de deux tarifs d’Allocation personnalisée d’autonomie (Apa) selon que l’on accepte ou non la récupération sur le patrimoine que l’on laisse à ses enfants. Et surtout, exclusion du droit à cette allocation pour les personnes en Gir 4. En proposant ce texte au vote des députés, le gouvernement opte délibérément pour l’exclusion de la prise en charge de la dépendance par la Sécurité sociale, faisant table rase de toutes les discussions et concertations engagées entre les caisses, les associations et les syndicats. C’est un projet profondément injuste. Il offre au secteur assurantiel privé un marché juteux, mettant davantage à contribution les retraités et leurs familles. Il doit être retiré. La perte d’autonomie doit relever de la solidarité nationale, donc de la Sécurité sociale, et non de la solidarité familiale.
Vieillir, c’est pas nouveau.La prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie n’est pas à proprement parler un besoin nouveau. Par contre, le nombre d’individus concernés est en augmentation, du fait de l’allongement de la durée de la vie. Mais l’espérance de vie en bonne santé progresse encore plus vite. Pour convaincre du côté inéluctable de ses décisions, le gouvernement s’appuie sur des chiffres et des déclarations paraissant découler du bon sens, comme il a tenté de le faire pour les retraites. Il affirme que « l’on vit plus longtemps, le nombre de personnes en perte d’autonomie ne va pas cesser d’augmenter, cela coûte trop cher, il faut que les salariés et les familles mettent la main à la poche! » Et voilà la solution. Les salariés, les familles sont mis à contribution et les profits du patronat ne sont pas touchés. Pourtant, la plupart des maladies invalidantes, responsables de la perte d’autonomie des retraités, ont été contractées pendant la période d’activité. Comme pour l’exposition à l’amiante, les maladies liées aux conditions de travail mettent quelquefois dix à quinze ans pour se déclarer. Quand elles se manifestent, personne ne fait le lien avec l’entreprise et sa responsabilité. D’autant, que peu de recherches sont engagées sur le rapport entre les conditions de travail et les pathologies survenant à la retraite.
Les retraités une charge ou une chance ?Pour leur plus grand nombre, les retraités sont tout à fait autonomes, et participent au développement de la société. Seulement 10 à 15 % d’entre eux sont en perte d’autonomie totale ou partielle. La prise en charge de la perte d’autonomie représente aussi un aspect de développement important de la société emploi, formation, recherche, appareillages, établissements… Pour important qu’il soit, ce financement ne représente que 10 % du budget de la protection sociale. Pour la Nation, un retraité ne coûterait pas plus qu’un enfant de dix ans.
La prise en charge est segmentée en deux parties: les soins et la dépendance, plus l’hébergement pour les personnes en établissement médicalisé. La partie soin est entièrement prise en charge par la Sécurité sociale. Mais les personnes âgées à domicile ou en établissement ont toujours besoin d’une mutuelle, en particulier pour les soins dentaires, les lunettes et les prothèses dentaires et auditives.
Depuis juillet 2001, les personnes de plus de 60 ans peuvent bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (Apa). Il s’agit d’une aide en nature accessible aux personnes en Gir 1, 2, 3 et 4. Elle est individualisée en fonction des ressources et de l’état de santé de la personne, et ne donne pas lieu à recours sur la succession. En 2009, on comptait près de 1,2 million de bénéficiaires, pour un montant moyen de 498 euros. Elle devait être financée à l’origine à 50 % par l’État et 50 % par les conseils généraux. Mais en réalité, l’État ne prend à sa charge que 30 %, laissant les départements devant des dilemmes budgétaires.
La prise en charge de la perte d’autonomie diffère selon l’âge de la personne. Moins de 60 ans, ce sont des personnes handicapées, plus de 60 ans, elles sont dépendantes. C’est la date de naissance qui détermine le type de prise en charge. En terme d’équité des droits, c’est difficile à accepter.
Pour un même niveau d’incapacité, les conditions de prise en charge sont très différentes. Une personne de 45 ans porteuse d’un très lourd handicap pourra obtenir 360 heures d’aide à domicile par mois (prestation de compensation du handicap). Tandis qu’une personne âgée également très handicapée aura droit en moyenne à 92 heures (allocation personnalisée d’autonomie).
La CNSA hors Sécu.Dès 2003, profitant du choc psychologique de la canicule, le gouvernement décide d’un impôt supplémentaire, la contribution solidarité (journée de travail gratuit, ex lundi de Pentecôte) et dans la foulée, il crée la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), hors champs de la Sécurité sociale. Alors que dans le même temps, les syndicats, les mutuelles, les caisses et les associations réclamaient une prise en charge par la Sécurité sociale, le cinquième risque !
Cette caisse est chargée de gérer les budgets du handicap et de la perte d’autonomie (18,5 milliards en 2010). Sa gouvernance donne un rôle prépondérant à l’État, alors que les cotisations représentent la très large majorité des financements.
La perte d’autonomie peut concerner tous les âges de la vie, de la naissance à la maladie, de l’accident au vieillissement. La diversité des situations doit être prise en compte. Pour chaque situation, il doit y avoir une réponse appropriée. Entre un enfant à éduquer, un adulte qui doit pouvoir travailler et une personne âgée qui doit pouvoir vivre sa retraite bien méritée, il existe bien des besoins différenciés.
Cette conception relève d’un véritable choix de société, quelle part du PIB voulons-nous consacrer aux personnes en situation de handicap afin de construire une société pour tous les âges et toutes les situations ?
Yolande Bachelier
Évolution législative des prestations d’aide
En 1975 : Création de l’Allocation compensatrice tierce personne (ACTP), versée à toute personne frappée d’un taux d’incapacité d’au moins 80 %, déterminée par la Cotorep (en 2006 on comptait plus de 203 000 personnes âgées parmi les bénéficiaires).
En 1997 :Création d’une Prestation spécifique dépendance (PSD). Il s’agit d’une aide en nature, réservée aux plus de 60 ans et assortie d’un recours sur succession. La PSD varie selon les revenus et le degré de dépendance de la personne. L’outil d’évaluation qui a été choisi est la grille Aggir (autonomie, gérontologie groupes iso-ressources) qui établit six niveaux de dépendance. Le Gir 1 est le niveau le plus important de perte d’autonomie et ainsi de suite. La PSD n’est attribuée qu’aux trois premiers Gir (1 à 3).
En juillet 2001 :Création de l’Allocation personnalisée d’autonomie (Apa). Il s’agit d’une aide en nature, cette fois non récupérable sur succession, d’un montant supérieur à la PSD et accessible jusqu’au Gir 4.
En février 2004 : Le Conseil économique et social rend un avis en faveur d’une prise en charge collective des personnes en situation de handicap quel que soit l’âge. Le cinquième risque venait de faire son apparition, au moins sur le principe.
En juin 2004 : Mise en place de la Journée de solidarité, qui rapporte 2,2 milliards par an et création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie chargée de gérer les budgets de la perte d’autonomie et les différents financements du handicap en dehors du champs de la Sécurité sociale.
La loi du 11 février 2005 révise celle de 1975 et crée la prestation compensatrice du handicap (PCH). Elle est destinée dans un premier temps aux adultes et devra être étendue dans un délai de trois ans aux moins de 20 ans, dans un délai de cinq ans aux plus de 60 ans. Elle n’a été étendue qu’aux enfants et c’est en 2010, que les plus de 60 ans devaient en bénéficier !
Définition des Gir
Les Gir (groupes iso-ressources) établissent un classement en fonction du degré de perte d’autonomie. Cette évaluation doit être effectuée par une équipe médico-sociale.
Le Gir 1 correspond aux personnes confinées au lit ou en fauteuil ou dont les fonctions intellectuelles sont gravement altérées. La présence constante d’intervenants est indispensable.
Le Gir 2 comprend deux groupes de personnes dépendantes. Celles qui sont confinées au lit ou au fauteuil et dont les fonctions intellectuelles ne sont pas totalement altérées. Une prise en charge est nécessaire pour la plupart des activités de la vie courante. Celles dont les fonctions mentales sont altérées, mais qui peuvent se déplacer. Certains gestes tels que l’habillage, la toilette ne peuvent être accomplis en raison de la déficience mentale.
Le Gir 3 correspond aux personnes qui ont conservé partiellement leurs capacités motrices, mais qui ont besoin d’être assistées pour se nourrir, se coucher, se laver, aller aux toilettes.
Le Gir 4 regroupe deux types de personneselles qui n’ont pas de problèmes de déplacement mais qui doivent être assistées pour les activités corporelles ainsi que pour les repas. Celles qui ont besoin d’aide pour se lever, se coucher, mais peuvent se déplacer seules à l’intérieur du logement. Une assistance est parfois nécessaire pour la toilette et l’habillage.
Le Gir 5 désigne les personnes qui sont relativement autonomes dans leurs activités. Elles se déplacent seules, mais ont besoin d’aides ponctuelles, la toilette, la préparation des repas, l’entretien du logement.
Le Gir 6concerne les personnes autonomes dans tous les actes de la vie courante.
Les personnes classées en Gir 5 et Gir 6 ne peuvent pas bénéficier de l’Apa (Allocation personnalisée d’autonomie). Elles ont accès à l’aide ménagère des régimes de retraite ainsi qu’à l’aide pour garde à domicile.
L’indispensable auxiliaire de vie
Qu’elles vivent en institution ou qu’elles restent à leur domicile, les personnes dépendantes ont besoin d’une aide. Mais, cela signifie, notamment pour les auxiliaires de vie à domicile, la mise en place d’une réelle formation.
En maison de retraite, les personnels sont multiples : infirmière, aide soignante, auxiliaire de vie sociale. Chaque catégorie a sa qualification déterminant sa place dans la convention collective du secteur.La formation de l’auxiliaire de vie est équivalente, en temps, à celle de l’aide soignante, mais le contenu diffère, la plaçant, dans la grille des salaires, entre l’aide soignante et l’agent de ménage. Cette formation vise surtout à lui permettre de prendre du recul par rapport à la personne dépendante qu’elle a en charge, et à ne pas être dans une démarche où l’affectif prend le pas sur le professionnel. L’auxiliaire de vie est suivie par la médecine du travail comme les autres salariés.
Pour l’auxiliaire de vie à domicile, la situation est différente. Si elle est employée par une association travaillant avec les services d’action sociale des mairies, elle est en général dans la même situation que celle travaillant en institution. Son déplacement entre deux lieux de travail est intégré à son temps de travail avec remboursement d’une partie des frais de transport.
En grande majorité, les auxiliaires de vie sont des femmes seules, sans aucune formation, ayant vécu un chômage de longue durée, ou voulant reprendre une activité après s’être occupées de leurs enfants. Ce sont des personnes -fragilisées.
Pour la plupart, elles sont employées directement par la personne dépendante ou sa famille, payée dans le meilleur des cas en chèque emploi service (ce qui lui permet d’avoir une couverture sociale et de cotiser pour sa retraite). Si la personne dépendante est adhérente à la fédération regroupant ceux qui emploient des personnels à domicile, elles ont au moins une convention collective qui leur donne des droits (celle des personnels de maison, femmes de ménage).
N’ayant aucune formation,ces auxiliaires de vie ne peuvent prendre le recul nécessaire par rapport à la personne dont elles s’occupent. Il n’est pas rare qu’elles viennent « aider » un dimanche ou un jour férié, sans pour autant être payées. Leur semaine de travail peut dépasser les quarante heures sans paiement d’heures supplémentaires. Certaines emportent du linge à laver chez elles, il n’y a aucune limite à ce qui leur est demandé, pour un salaire équivalent au Smic.
En ce qui concerne leur santé, elles ne sont pas prises en charge par la médecine du travail. Les accidents du travail ne sont pas déclarés, et aucune visite n’est faite pour vérifier si le lieu de travail est aux normes de sécurité. Lorsqu’elles ont plus d’une personne en charge, les déplacements ne sont pas intégrés dans leur temps de travail et les frais ne sont pas pris en charge. Ces auxiliaires de vie à domicile si utiles à la personne dépendante sont dans une situation que l’on peut qualifier de précaire.
Hélène Duberos
Pascal Champvert : S’occuper des vieux,
c’est s’occuper du futur de chacun
Pascal Champvert dirige plusieurs maisons de retraite et services à domicile, dont L’Abbaye à Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne. Depuis 1988, il est le président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Il analyse les enjeux des futures discussions autour du projet de loi sur l’aide à l’autonomie des personnes âgées.
Vous disiez lors de notre dernière interview que la dépendance était considérée par de nombreux hommes politiques comme « une affaire de famille, une affaire privée » qui ne les concerne pas.Les choses semblent évoluer.
Le débat actuel va, en effet, permettre au monde politique de s’approprier ces questions et de ne pas les renvoyer systématiquement dans la sphère du privé. L’aide à l’autonomie des personnes âgées est un débat politique au sens noble du terme c’est-à-dire qui intéresse la cité. S’il faut des familles qui aiment, il faut aussi des professionnels qui aident et donc des circuits financiers qui accompagnent les familles, les professionnels et avant tout les personnes âgées fragilisées.
Mais je voudrais ajouter que je n’utilise jamais le mot dépendance, Nora Berra parle d’autonomie et d’avenir des aînés et je suis mille fois d’accord avec elle. Il faut être vigilant en matière de vocabulaire, les mots ont un sens. Ça n’est pas la même chose de s’intéresser à l’autonomie et de s’intéresser à la dépendance. L’enjeu est important, il revient à se demander quelle place nous donnons, dans notre société, aux personnes âgées et aux plus fragiles d’entre-elles. Quel regard nous portons sur elles. Si le débat qui vient nous permet de changer notre regard, de dire qu’un vieux monsieur, une vieille dame, même s’ils sont atteints d’un Alzheimer, même s’ils ont un handicap physique, même s’ils sont incontinents, restent un homme et une femme à part entière et des citoyens à part entière, on aura fait avancer les choses.
Que pensez-vous du rapport de Valérie Rosso-Debord dont l’une des principales préconisations est le recours aux assurances privées ?
Ce rapport est un élément au débat, mais on voit bien que nombre de parlementaires ne s’y retrouvent pas. Nora Berra elle-même a dit qu’il n’engageait pas le gouvernement. De mon côté, je suis plus attaché au rapport 2007 de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées) qui a été adopté à l’unanimité moins une abstention positive, celle de la Cgt, ce qui signifie que la Cgt ne souhaitait pas bloquer le texte. Le Medef, l’ensemble des organisations de salariés sauf cette abstention positive, les professionnels du secteur, les familles, les parlementaires de droite comme de gauche avaient accepté la possibilité d’un recours aux assurances privées à titre complémentaire comme c’est déjà le cas pour la couverture maladie. Au départ l’ensemble des professionnels et des organisations syndicales étaient opposés à cette mesure, nous avons fait un véritable effort pour trouver un compromis, mais si maintenant on nous dit, « les financements seront basés uniquement sur de l’assurance privée » on rompt ce consensus, ce qui signifie que l’on ne veut pas d’une réforme qui recueillerait une large approbation.
Que pensez-vous de la proposition du député UMP Laurent Henart qui suggère de supprimer un jour de RTT pour financer l’aide à l’autonomie ?
Je ne vois pas comment les organisations syndicales qui refusent toujours le premier jour férié supprimé pourraient accepter ça. Et puis, un jour ne suffira pas, c’est la cinquième semaine de congés payés qu’il faut supprimer… Ça ne peut pas être une voie, il faut que nous imaginions un mode de financement qui soit accepté le plus largement possible. Nous voyons bien que ce qui est remis en cause dans le débat sur les retraites, c’est la façon dont ont été menées les discussions. J’espère que le débat sur les aides à l’autonomie sera large et ouvert et que nous allons pouvoir faire émerger des modes de financement acceptables par le plus grand nombre. La relation au grand âge et à nos aînés n’est pas un débat clivant. Il est possible d’en faire un sujet clivant pour de basses raisons politiciennes… Ce que je souhaite, c’est que les politiques, les acteurs sociaux, cherchent l’intérêt de nos aînés.
Quelle est la voie ?
Valérie Rosso-Debord propose d’aligner la CSG des retraités sur la CSG des actifs, pourquoi pas. C’est une solution qui n’est pas simple car on demande aux retraités un effort mais les organisations de retraités pourraient être d’accord pour le faire à partir du moment où il participe d’un effort global et solidaire. Taxer le patrimoine des retraités peut aussi être une piste mais à condition que l’on ne taxe pas uniquement le patrimoine des personnes âgées en perte d’autonomie ce qui reviendrait à taxer les personnes âgées Alzheimer et pas les personnes âgées cardiaques. D’autres enfin évoquent une taxation sur les jeux d’argent, on peut aussi regarder de ce côté là…
Que pensez-vous des autres mesures préconisées, les diverses formations pour les professionnels de santé, la suppression de l’Apa pour les Gir 4 ?
Avant toute chose, il faut plus de professionnels. Dire à des professionnels en sous-effectifs qui ont un quart d’heure pour aider une vieille dame à manger alors qu’il leur faudrait une demi-heure, qu’il faudrait qu’ils se forment mieux, c’est se moquer d’eux. Je crois à la formation mais à condition que les professionnels soient suffisamment nombreux pour faire ce qu’ils ont à faire. Quant à la suppression de l’Apa pour les Gir 4, je ne veux même pas en parler. Si la réforme de l’aide à l’autonomie c’est supprimer les maigres aides dont les personnes âgées bénéficient aujourd’hui, ça n’est pas la peine de discuter.
Comment expliquez-vous que nous ayons du mal à aborder ce débat ?
Dans le respect de l’ancien il y a quelque chose de fondamental, d’archaïque au sens psychanalytique du terme. Si toutes les grandes philosophies, toutes les grandes religions, parlent du respect de l’ancien, c’est bien parce que c’est quelque chose de profondément ancré dans l’âme humaine. Or nous sommes aujourd’hui dans une société qui ne fait pas assez pour ses personnes âgées donc, évidement, nous culpabilisons. Je pense que ce grand débat de 2011 peut être l’occasion, pour la société française, de se réconcilier avec les plus âgés. Simone de Beauvoir disait en substance : « Quand on se coupe de ses aînés on se coupe aussi de soi et de son propre avenir. ». S’occuper des vieux c’est s’occuper du futur de chacun des membres de la société. De plus, derrière cet enjeu éthique, il y a aussi un enjeu économique ; la création d’emplois à domicile ou en établissement est un élément de sortie de crise. Nous espérons donc que 2011 accouche d’une véritable grande réforme. Vous n’avez pas peur que le débat se cantonne à des questions comptables, que l’on dise que finalement « ces vieux nous coûtent bien cher »…
Écoutez, dans ce cas-là, il y a une solution, on les tue tous à partir de 50 ans, j’en ai 51, je suis candidat (rires)… Je me souviens de quelqu’un qui a écrit dans les années 1980 : « L’immigration est une chance pour la France » (Ndlr Bernard Stasi) eh bien je pense, de la même manière, que les -personnes âgées sont une chance pour la France.
Propos recueillis par Christelle Barbut
Nouvelle attaque du gouvernement
Le rapport déposé le 23 juin dernier par Valérie Rosso-Debord, députée de Meurthe-et-Moselle, trace les grandes lignes du projet de loi qui sera présenté cet hiver au Parlement. Il propose aux députés de voter pour
L’obligation de souscrire une assurance dépendance dès 50 ans (assurance privée bien sûr !) ; de relever le taux de la CSG retraitée actuellement de 6,6 % au niveau des actifs soit 7,5 % ; la création d’une CSG à taux réduit 3,8 % pour ceux qui n’y étaient pas assujettis, car non -imposables ; soumettre tous les retraités à la retenue pour la journée de solidarité à hauteur de 0,3 %, pour -commencer ; il est également proposé d’exclure du bénéfice de l’Apa, les Gir 4. Les allocataires devront choisir entre une allocation perte d’autonomie à taux plein, à condition d’accepter un droit de reprise sur la succession future, ou une allocation diminuée de moitié sans reprise sur la succession.
Non seulement vous souffrez d’un handicap, mais vous devez en plus, engager une partie de vos biens pour vous soigner. Avec une discrimination à la clé puisque ce « gage » n’existe pas dans des maladies dites coûteuses (Sida et cancer par exemple).
Perte d’autonomie plutôt que dépendance
Il ne s’agit pas d’une querelle sémantique. L’utilisation de l’un ou l’autre terme n’est pas neutre. Le terme « dépendance » est essentiellement utilisé pour désigner l’état de la personne âgée qui ne peut accomplir seule les activités de la vie courante.
Bernard Ennuyer, sociologue, définit la dépendance « comme un état spécifique de la vieillesse, due uniquement à l’âge biologique, signe plus que jamais du refus de la structure sociale de reconnaître sa responsabilité dans le parcours de vie des individus et, de ce fait, la vieillesse est définitivement renvoyée à une approche biomédicale, alors que par essence, elle est d’abord un fait social ».
Pour les mêmes incapacités et les mêmes besoins d’aide, les adultes de moins de 60 ans, sont qualifiés de handicapés.
Christiane : « Le sentiment d’une injustice »
Les personnes dépendantes qui ne peuvent plus rester à domicile, sont souvent placées en maison de retraite. Le coût onéreux de ces établissements oblige les familles à participer au frais d’hébergement. Christiane Lejeune témoigne de son vécu humainement très éprouvant.
Suite à une dégradation de son état de santé, ma mère, âgée de 87 ans est hospitalisée en janvier 2006. Son retour à la maison est conditionné par divers aménagements et une présence quasi permanente d’auxiliaires de vie (infirmière, kiné, aide ménagère…). L’expérience dure quinze jours. Mon père, alors âgé de 84 ans, ne pouvant assumer la situation et moi, seule enfant, encore en activité professionnelle à Paris, il a fallu se rendre à l’évidence : L’entrée en maison de retraite était incontournable.
Ma mère est admise dans l’établissement public pour personnes âgées dépendantes de Bourbonne-les-Bains (52). S’engage alors un parcours administrativement et humainement très éprouvant. Finalement, le dossier est constitué, mais le bouclage du budget s’avère délicat. Avec un coût d’hébergement de 2 264 € par mois et un cumul des deux retraites de mes parents de 1 570 € par mois, le compte est vite fait. D’autant que mon père vivant à son domicile, devait en assurer la charge (factures, nourriture, chauffage…) avec ses 1 300 € de retraite.
On regarde du côté des aides sociales. Dépendante et classée en Gir 2, ma mère bénéficie de 538 €d’Apa versée directement à l’établissement, de 212 € d’allocation logement, également versée à la maison de retraite. Le compte n’est toujours pas bon. On se tourne alors vers l’aide sociale du département (ASH). Il a fallu justifier des revenus de toute la famille (conjoint, enfant et petite-fille). Verdict: 640 € par mois d’aide sociale que le Conseil général versera jusqu’au décès de ma mère en février 2010. Soit environ 27000 €. Une avance qu’il récupérera dès le premier euro sur la succession.
Le résultat de la calculette est toujours négatif. Le cumul des aides au titre de l’hébergement et de la dépendance est insuffisant. Reste donc à la charge globale de la famille une somme de 873 €par mois. Nous voici tous, conjointement, « obligés alimentaires ». Hors de question de priver mon père de son maigre pécule et de demander à ma fille de supporter la « charge » de sa grand-mère. Résultat, chaque mois, pendant quatre ans, j’ai fait un chèque de 873 €… Évidemment, sans regret ni amertume. D’autant qu’on pouvait le faire. Mais pour d’autres, aux plus faibles revenus, qu’en est-il?
Je sors de cette expérience avec un double sentiment: celui d’une injustice et celui d’avoir subi une double peine. Injustice parce que la prise en charge de la perte d’autonomie, quels qu’en soit la cause et l’âge, devrait d’abord relever de la solidarité nationale. Le poids financier qui pèse sur les familles est le plus souvent insupportable. Double peine, parce que le Conseil général, qui sert en l’occurrence de simple organisme prêteur, va récupérer un peu plus de la moitié du produit de la vente de la modeste maison de mes parents. Qu’ils ont acquise au cours d’une vie de travail. Un peu comme si on leur avait volé leurs petites économies.
Un grand besoin de solidarité
Françoise Vagner est secrétaire générale de l'Union confédérale des retraités. Sensible au dossier de l'aide à l'autonomie, elle explique pourquoi ce moment de la vie doit reposer sur la solidarité nationale.
Françoise Vagner et Valérie Rosso-Debord, députée de Meurthe-et-Moselle,
auteure d'un rapport sur la prise en charge
des personnes âgées en perte d'autonomie.
(Photo Allaoua Sayad).
La Cgt propose un droit universel dans le cadre de la Sécurité sociale. Pourquoi?
Nous voulons un droit à l’aide à l’autonomie humaine et matérielle, reconnu pour tous, qui s’exercera de manière différenciée selon la nature du handicap, son importance et la situation de la personne concernée. Un droit dans la Sécurité sociale qui a été créée pour faire face aux aléas de la vie de la naissance à la mort. Il n’y a aucune raison pour que l’aide aux personnes âgées en soit exclue, ce qui est le cas aujourd’hui avec la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
À l’origine de la création de la Sécurité sociale, le risque de perte d’autonomie à un âge avancé existait peu. Les moyens de soigner les maladies chroniques n’existaient pas, les gens vivaient en bonne santé ou mouraient jeunes. Ce sont les progrès des sciences et des techniques, de la médecine, le résultat des luttes pour l’amélioration des conditions de travail, d’hygiène de vie qui ont permis l’allongement progressif de la durée de vie. Même si l’espérance de vie en bonne santé progresse plus vite que l’espérance de vie, même si les périodes de « dépendance » sont de plus en plus courtes, le nombre de retraités et l’allongement de la durée de la vie font que le nombre de personnes âgées qui auront besoin d’aide à l’autonomie va progresser. Les besoins augmentent indiscutablement. Ils doivent être réglés par la solidarité nationale. Nous proposons donc la création d’un 5e risque de la Sécurité sociale dans le cadre de la branche Assurance Maladie.
Les financements actuels, de bric et de broc, sont injustes, comme la journée de travail gratuit et n’ont pas suffit à répondre aux besoins. Ils mettent même en difficulté certains conseils généraux. Ils ont permis à l’État de se désengager, et ponctionnent de plus en plus les personnes âgées et leurs familles.
Le gouvernement, plusieurs rapports parlementaires proposent une assurance individuelle. Qu’en pensez-vous?
Comme pour les voitures? D’abord les assureurs n’en veulent qu’à condition qu’ils puissent imposer leurs conditions! Ils ne voudront aucun encadrement, sélectionneront les personnes, écartant les plus fragiles et feront en sorte d’échapper le plus possible aux prestations à verser. C’est l’inverse de la solidarité où tout le monde paie un peu pour que ceux qui ont des besoins reçoivent ce dont ils ont besoin. Toutefois, à partir du principe qui régit actuellement la Sécurité sociale: une couverture de base importante et une assurance complémentaire à but non lucratif, nous pourrions avoir une réflexion sur une « complémentaire autonomie ». Ce doit être une complémentaire « à longue durée ». Elle doit être obligatoire pour ne pas être inégalitaire, (comme la retraite complémentaire).
Est-ce que la Sécurité sociale peut faire face à de nouvelles dépenses?
Nous parlons-là de la prise en charge de l’aide à l’autonomie, hors soins de santé financés par l’assurance maladie et hors tarifs d’hébergement en maisons de retraite médicalisées financées, pour le moment, par les résidents et leurs familles.
Le rapport Gisserot prévoit, sur l’aide à l’autonomie, une croissance annuelle de 1,3 % à 1,6 % jusqu’à 2012, de 0,6 % à 1,1 % de 2012 à 2025. Le besoin de financement d’ici 2025 représenterait un peu moins d’un point de PIB, soit une dépense somme toute minime. Les évolutions actuelles conduisent d’ailleurs à prévoir une baisse tendancielle des taux de prévalence de la dépendance de 1 à 2 % par an dans les pays européens. Ce financement rentrerait dans le cadre des propositions de la Cgt pour financement de la Sécurité sociale.
Et pour ce qui concerne l’hébergement en maisons de retraite médicalisées?
Il faut prendre en compte deux éléments: d’une part, il s’agit, dans la plus grande partie des cas, d’un choix contraint, et d’autre part, le tarif: entre 1500 et 3000 euros par mois à la charge du résident (hors aides sociales réservées aux plus démunis). Nous pensons que le coût d’hébergement devrait relever de la solidarité nationale, dans le cadre d’un financement public comme pour les écoles, les lycées… On pourrait le prélever sur une partie de l’impôt sur les successions. Cela suppose, bien évidemment, que des dispositions fiscales nouvelles soient prises. Il faut supprimer le bouclier fiscal et revoir la fiscalité du patrimoine qui doit retrouver une dimension redistributive. Le principe étant de ne pas faire peser sur les seules personnes en perte d’autonomie et leur famille, le poids des infrastructures, comme c’est le cas actuellement.
Est-ce que cette vision de l’aide à l’autonomie est partagée?
Nous ne sommes pas seuls à défendre ces positions: l’ensemble des confédérations se prononce pour la prise en charge de la perte d’autonomie dans le cadre de la Sécurité sociale. Le CNRPA s’est également prononcé pour une prise en charge dans le cadre de la solidarité nationale, ainsi que bon nombre d’associations de retraités et de professionnels. De même qu’est largement partagé le refus du recours sur succession.
C’est une véritable question de société, un choix politique pour lesquels nous devrons travailler à rassembler tout ceux qui partagent avec nous, l’idée d’une société où chacun a droit à une vie digne et citoyenne.
Quatre propositions de la Cgt
Un droit universel. Nous voulons définir un droit universel de compensation à la perte d’autonomie pour tous les âges, se traduisant par une aide personnalisée en regard des situations de vie et se situant dans le cadre de la Sécurité sociale ; ce droit permettrait une égalité de traitement entre les personnes sur tout le territoire.
Une évaluation unique.L’évaluation de l’aide à l’autonomie doit être faite par un comité d’évaluation représentant le social, le médico-social et le sanitaire et être déterminée pour l’ensemble des intervenants et du territoire. La grille d’évaluation doit permettre le suivi de l’évolution de la situation des personnes.
Un grand service public d’aide à la personne. Afin de répondre à des besoins vitaux, pour assurer l’égalité de traitement, la pérennité des soins et leur qualité, l’aide à domicile doit relever d’un grand service public, en partenariat avec le secteur associatif. Ce service public doit répondre à la fois aux besoins des personnes aidées et à ceux des salariés. La formation des personnels qui interviennent au domicile ou en établissement doit relever de l’Éducation nationale ou de la formation professionnelle continue.
La prévention.Tous les spécialistes s’accordent à dire que c’est une des données essentielles pour réduire la perte d’autonomie. La prévention tout au long de la vie doit devenir une des dimensions de la politique nationale de santé. Il est nécessaire d’y associer une prévention spécifique des personnes âgées.
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis