Pour obtenir ses relevés de pensions, il faut faire une demande par mail aux caisses de retraite, car ils ne sont plus adressés automatiquement. Les retraités qui ont connu pendant leur vie active les enveloppes à chaque fin de semaine ou quinzaine contenant la paie en liquide et sa bandelette de papier en guise de justificatif doivent se sentir des dinosaures. C'est à croire qu'on veut nous libérer du souci d'argent, celui-ci ne devenant qu'un chiffre abstrait, sans corrélation avec la valeur du travail.
L'UCR CGT a engagé une campagne pour la re-matérialisation de la feuille de pension.

Fécondité illusoire

L’argent régit la société, envahit nos pratiques sociales, nos raisonnements, jusqu'à nos sentiments. Lui qui ne devait être qu'un facilitateur d'échange, un instrument du commerce des produits et des terres, est devenu une valeur intrinsèque. Toute la mystification du capitalisme repose sur cette illusion que l'argent est fécond, qu'il peut créer des richesses jusqu'à s'engendrer lui-même, alors qu'il est la stérilité même et qu'il se nourrit comme un vampire de la force de travail qu'il exploite. Il creuse un abîme d'inégalité entre les pauvres et les riches.

Au service des nantis

Dévoyé de sa fonction initiale, l’argent est une arme au service des nantis. La virtualisation de la monnaie, la dérégulation des marchés, les arrangements financiers et politiques, le dumping social et l'exil fiscal sont autant de stratégies dans l'impressionnante panoplie des puissants, leur permettant de conserver et d'accroître leurs privilèges exorbitants.

Sous prétexte d'ouverture à la concurrence, la privatisation des services publics essentiels aux besoins de la population est menée tambour battant : La Poste, la SNCF, EDF-GDF, la santé, etc. Ces immenses marchés sont donnés en pâture aux grands groupes financiers.

En Europe, sous couvert du droit de circulation des hommes et des biens, des salariés sont déplacés et peuvent être employés en France au tarif de leur pays d'origine. De nombreuses entreprises ne s'en privent pas, faisant des profits conséquents sur leur dos. On devient riche au détriment des pauvres.

Masquer la réalité

La technique d’invisibilité est utilisée dans de nombreux domaines pour masquer le prix réel des marchandises, des services ou des taxes. Il est quasiment impossible de savoir quel est le prix normal d'un billet de train ou d'avion et de comparer en fonction du nombre de kilomètres parcourus. Le montant est différent suivant l'heure et le jour de circulation et la date d'achat du titre de transport. Un vrai casse-tête.

La TVA que nous payons sur tous nos achats est malaisée à repérer, d'autant que, pour réduire les déchets, les clients sont invités à ne pas récupérer leurs tickets de caisse qui vont être, à terme, supprimés pour être envoyés par mail, tout comme les feuilles de paie. Il sera alors presque impossible de comptabiliser les impôts et les taxes payés à l'État. Il va falloir passer du temps devant son ordinateur pour trier tout cela !

Juteuse stratégie

L’exil fiscal est certainement la plus juteuse des stratégies développées par les grands groupes financiers. C'est une discipline organisée, avec de nombreux cabinets d'avocats spécialisés en droit fiscal qui en vivent grassement. Les profits et plus directement les sièges sociaux des entreprises sont situés dans des paradis fiscaux. Dans ces pays, la fiscalité est quasiment nulle et le secret garanti. La France perd chaque année environ 100 milliards d'euros de recettes fiscales. C'est un vol organisé, avec la complicité des politiques en place.

Depuis la pandémie, des dizaines de milliards d'euros d'aides ont été versés, sans condition sociale, fiscale, écologique ou presque. Les entreprises du Cac 40 ont accumulé 60 milliards d'euros de profits au premier semestre 2021, soit 41% de plus qu'au premier semestre 2019. L'indice boursier a progressé de 20% depuis le début de l'année, les actionnaires s'attendent à un « rattrapage conséquent » de leurs dividendes, alors que les travailleurs les plus pauvres s'enfoncent dans la misère.

Aspirateur à fric plutôt que ruissellement

La crise sanitaire est un vrai paradis pour les puissants et un enfer pour les précaires. Le nombre de milliardaires a connu, depuis 2018, sa plus forte hausse de l'histoire. Nous comptons un nouveau milliardaire tous les deux jours. Leur richesse a augmenté de plus de 800 milliards de dollars chaque année. Ce boom incroyable équivaut à sept fois le montant qui permettrait de mettre fin à la pauvreté extrême dans le monde. Qu'est devenu cet argent ? Il devait ruisseler vers l'économie locale !
Un rapport de France Stratégie, organisme rattaché à Matignon, constate que les réformes (ISF et flat tax) n'ont pas eu d'effet sur l'investissement, mais qu’elles ont accru la concentration des dividendes chez les plus riches.

De tels chiffres montrent que la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune, qui devait augmenter l'investissement vers l'économie réelle, mise en place par Macron, est à classer dans les farces et attrapes. Dans ce cas, il s'agit plutôt d'un aspirateur à fric, car le ruissellement vers le haut cela n'existe pas !

Yolande Bachelier