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L’ODYSSÉE DE LA CANNE À SUCRE

Comment imaginer à notre époque, où l’injonction du « mangez moins de sucre » est dans tous les spots publicitaires, que cette denrée aussi abondante et familière a longtemps été inconnue en Europe ?

Partir à la découverte de la canne à sucre, c’est parcourir un passionnant livre d’histoire et de géographie. Sans doute originaire de Nouvelle-Guinée, cette grande graminée s’est progressivement répandue dans toute l’Asie. Les Perses l’ont découverte en envahissant l’Inde et poétiquement appelée « roseau donnant du miel sans le concours des abeilles ».

En 325 av. J.-C., sous Alexandre le Grand, Macédoniens et Grecs la découvrent en conquérant la Perse. Mais ce sont les Arabes, après avoir envahi la Perse à leur tour, en 645, qui étendent sa culture dans les nouveaux territoires qu’ils colonisent, de Chypre à l’Espagne.

Il faudra attendre les croisades pour que l’Occident, qui ne connaissait que le miel pour adoucir aliments et boissons, découvre et apprécie cette nouvelle douceur. Produit alors rare et coûteux, seules les élites y auront accès. Le Saccharum officinarum sera vendu par les apothicaires comme épice ayant des vertus médicinales. Ce n’est qu’au XIIe siècle que le mot français « sucre » apparaît pour la première fois dans les écrits de Chrétien de Troyes.

Un marché fructueux

À partir du XIIIe siècle, les échanges commerciaux s’intensifient et, avec l'ascension d’une classe bourgeoise aisée, la demande se fait importante. Gênes et surtout Venise s’enrichissent avec ce commerce. Mais en 1453, la prise de Constantinople par les Turcs donne un coup d'arrêt aux échanges avec l’Orient. Les villes italiennes se tournent alors vers d'autres centres de production dont le Portugal, qui avait introduit la canne à sucre sur l’île de Madère puis aux Canaries, au Cap-Vert et à Saint-Thomas.

Pour répondre à cette nouvelle demande, les Portugais développent leurs plantations et pour s’enrichir encore plus décident de recourir à l’esclavage. La première razzia de grande ampleur sur les côtes africaines a lieu en 1444.

Nouveau Monde, eldorado ou enfer

La découverte du Nouveau Monde a bouleversé l’industrie sucrière. Des plants de canne à sucre sont introduits à Hispaniola (Saint-Domingue) par Christophe Colomb en 1493, puis dans les îles Caraïbes. La canne à sucre se répand au Mexique, au Brésil, aux Antilles... et devient rapidement la première denrée coloniale. Sa culture exige beaucoup de terres et une abondante main-d’œuvre.

L’appât du gain traverse toutes les époques et les plus cupides n’hésitent jamais à utiliser les moyens les plus brutaux pour s’enrichir. Alors, pour satisfaire la demande croissante des Européens, un ignoble commerce triangulaire se met en place.

Des êtres humains sont échangés contre de la pacotille, puis vendus aux colons comme esclaves par des armateurs sans scrupules. Les navires reviennent ensuite en Europe avec les produits des colonies, dont le précieux sucre.

L’arrivée en Guadeloupe, en 1654, de 900 planteurs hollandais chassés du Brésil par les Portugais inscrira l’industrie sucrière esclavagiste dans le système économique français.

Un sucre au goût amer

Plus de 12,5 millions d’hommes, femmes, enfants ont été déportés, asservis dans des conditions effroyables, entre 1501 et 1866. Trois siècles de notre histoire qui portent une tache indélébile. Aucune autre marchandise n’aura eu de conséquences humaines aussi meurtrières.

Sans scrupules, durant cette période, les Européens auront dépouillé un continent de sa jeunesse, le privant des indispensables transmissions de savoir des aînés aux jeunes générations qui font l’évolution des sociétés. Et, à notre grande honte, un président de la République française, Nicolas Sarkozy, a osé déclarer, le 26 juillet 2007 à Dakar : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. »

En mettant un morceau de sucre dans nos cafés ou en dégustant un ti-punch, rappelons-nous de l’histoire du « roseau donnant du miel sans le concours des abeilles ».

Hélène Salaün


L'origine du mot :
En sanscrit « çârkara » (sable, gravier), devient sukkar en arabe, Saccharum en latin puis sucre en français.


Image de la Une : Esclaves au travail dans une plantation de canne à sucre.
Source : lumni.fr
Carte commerce triangulaire : Source : lettres-histoire-geographie.dis.ac-guyane.fr

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