Les méthodes de l’ultralibéralisme appliquées à l’hôpital provoquent les mêmes symptômes sur les personnels que dans les grandes entreprises. Comment bien soigner quand on est soi-même en souffrance ? Attention, danger.
Le suicide d’un professeur de médecine de l’hôpital Georges Pompidou a été largement médiatisé du fait de son statut social et des relations exécrables régnant entre les médecins dans cet établissement.
Mais il s’agit de l’arbre qui cache la forêt des suicides sur le lieu de travail de personnels soignants. Le nombre de cas augmente depuis quelques mois, notamment à Charleville- Mézières, Toulouse ou au Havre. Il faut noter que sous la pression syndicale, un certain nombre d’entre eux ont été reconnus en accident de travail. Cela montre bien la relation entre la dégradation des conditions de travail et ces drames. Mais comment en sommes-nous arrivés là chez des professionnels dont le métier est de soigner, c’est-à-dire de soulager des souffrances ? La réponse est assez simple : c’est l’application à l’hôpital des techniques de management issues de l’ultralibéralisme.
La dégradation de la situation a débuté dès les années 1980 avec le tournant de la rigueur, premier avatar en France des politiques libérales initiées par Ronald Reagan aux États-Unis et par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. Au fi l des réformes des années 1990 et 2000, l’hôpital est devenu une entreprise de production de soins dans le cadre d’un marché concurrentiel dans lequel il faut gagner des parts. Les directeurs ont été mis sous pression pour s’adapter et leur formation a été modifiée pour coller à ces objectifs. Une partie du monde médical, du fait de ses origines sociales et de ses orientations politiques, mais surtout de son attrait pour le pouvoir, a accompagné et facilité ces évolutions.
Alors que le propre des métiers de la santé est le travail collectif et collaboratif auprès des patients, les « valeurs » qui ont été mises en avant sont l’individualisme, la concurrence et la performance essentiellement financière. Cela dans un contexte de restructuration avec des fermetures massives qui vont s’accélérer avec la mise en place des Groupements hospitaliers de territoire imposés par la loi Touraine, regroupant de manière autoritaire 1 200 hôpitaux dans 130 structures pour l’ensemble du territoire national.
Par ailleurs, dans la même logique que la loi Travail, les établissements remettent en cause les accords sur la réduction du temps de travail avec la suppression de jours de RTT, la généralisation de l’alternance du travail entre équipe du matin et d’après-midi (voire la nuit) ou encore l’extension du travail en plages de 12 heures… Tout cela participe à la dégradation du travail en équipe, à l’augmentation de la pénibilité et à l’épuisement, tant physique que moral.
Ainsi ce qui caractérise aujourd’hui le fonctionnement hospitalier, c’est un management autoritaire, utilisant toutes les stratégies pour isoler ceux qui sont considérés comme des « gêneurs » et des techniques de harcèlement du même type que celles qui ont été utilisées à France Télécom, ainsi que dans d’autres entreprises avec les résultats que l’on connaît.
Cette affaire est actuellement dans les mains de la justice et les principaux dirigeants de l’époque sont justement mis en cause.
Trop souvent ces salariés restent isolés - ce qui fait partie intégrante de la stratégie de harcèlement - et ne voient pas d’issue à leur situation, ce qui les conduit au désespoir. Heureusement, dans de nombreux cas, la présence syndicale permet un soutien, notamment psychologique, et l’organisation d’une défense collective et solidaire.
Mais nous sommes malheureusement face à une machine de guerre qu’il va falloir bloquer. La médiatisation de ces situations peut participer à créer une véritable prise en compte par la population de ce qui se passe actuellement dans les hôpitaux. Car il est clair que quand les personnels vont mal, les patients risquent d’en payer les conséquences. Il est donc essentiel que le fonctionnement des hôpitaux s’appuie sur les valeurs d’humanisme qui sont le fondement de la médecine. La situation actuelle montre bien que la logique libérale appliquée dans ce secteur est mortifère et qu’il est nécessaire de s’y opposer de toutes nos forces.
DR CHRISTOPHE PRUDHOMME*
* Médecin urgentiste au Samu de Seine-Saint-Denis, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (Amuf).
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