Les grandes constructions, tours, stades, ponts, bateaux, lieux de culte, opéras, sont des ouvrages d’art contemporains avec une utilité sociale et culturelle incontestable. Leurs architectes sont des artistes créateurs de beauté esthétique et de vie sociale. La course au gigantisme est lancée, mais jusqu’où ?
Une tour haute d’un kilomètre, un stade de 150 000 places, un paquebot avec à son bord 8 690 personnes. Pourquoi les hommes et les états repoussent-ils sans cesse les limites de la technologie ? Pour montrer de façon ostentatoire leur supériorité technologique ? Pour drainer de l’argent public afin de faire toujours plus de profits ? Pour afficher leur puissance économique et leur supériorité sur le monde et la nature ? De nombreuses questions se posent concernant l’adéquation entre les réalisations et les besoins exprimés par les utilisateurs.
Le financement de tous ces projets repose sur des subventions publiques, complétées par des avances d’argent privé récupérables sur le fonctionnement des structures. Et c’est là que le bât blesse ! Les collectivités s’engagent à verser pendant des décennies des redevances importantes, sans réel droit de regard sur la gestion financière des équipements qui sont de statut privé. Les grands groupes financiers amassent des fortunes qu’ils vont ensuite cacher dans les paradis fiscaux. C’est le scénario le moins dramatique. Car de temps en temps les ouvrages construits, s’ils ne correspondent pas aux besoins, entraînent la faillite des partenaires. Les projets censés doper l’économie locale grèvent lourdement les finances des collectivités, souvent impuissantes face aux avocats des géants du BTP. Les grands équipements sportifs sont de vrais tiroirs à subventions.
En Arabie saoudite, une tour de 1 002 mètres est en construction (trois fois la tour Eiffel), elle sera terminée en 2020. La Jeddah- Tower pourra héberger 40 000 personnes (la population de la ville de Chartres). Sa consommation électrique sera de 36 MWh soit l’équivalent d’une ville de 80 000 habitants et la contenance de 60 piscines d’eau par jour sera nécessaire pour alimenter le bâtiment. Devant l’instabilité du terrain, il a fallu enfoncer 270 pieux à 110 mètres sous terre (la moitié de la Tour Montparnasse) et les recouvrir d’une plaque de béton armé de 5 mètres d’épaisseur et d’une superficie de 60 terrains de football. Coût présumé de la construction : 1,2 milliard d’euros. L’orgueil de posséder la tour la plus haute du monde a un prix !
En 2020, la tour Bury Khalifa de Dubaï, actuelle détentrice du record avec ses 828 mètres, sera largement dépassée, mais jusqu’à quand ? Un projet est lancé par l’Irak pour aller encore plus haut.
Pour l’instant, la France n’est pas touchée par la folie des gratte-ciel gigantesques mais l’avidité des géants du BTP et des grands groupes financiers est là pour séduire les politiques décideurs, désireux de laisser une trace à la postérité.
Frédéric Thiriez, président de la ligue de football professionnel jusqu’en avril dernier, avait coutume de dire : « Il n’y a pas de grands clubs sans beaux stades. » Cela s’inscrit dans une vision économique de foot business générant toujours plus de recettes financières. Un club ou une fédération ne peut plus gagner d’argent sans être propriétaire de son outil de production qu’est le stade.
La France est à la traîne avec des infrastructures sportives d’une moyenne d’âge de 66 ans. Les potentialités de constructions sont grandes. Tous les clubs de foot veulent leur stade dernier cri avec toit rétractable, pelouse amovible et capacité d’accueil modulable.
Dans la bataille du foot, devenue un business interplanétaire, le modèle économique anglais reste le summum de la réussite financière à imiter. Tant que la fédération française de football restera sur ce modèle, les lois de la finance remplaceront les règles du sport. Les derniers stades construits n’échappent pas à cette logique. Le Grand stade de Lille a coûté 559 millions d’euros supportés par la collectivité, pour le stade des Lumières à Lyon, la facture est de 187 millions etc.
Concernant le gigantisme des bateaux, la logique est claire : transporter plus de marchandise lors d’une rotation permet d’abaisser le coût de la tonne transportée.
Et pour les voyageurs ? Les paquebots ressemblent à des immeubles flottants afin d’optimiser le nombre de cabines. Lorsque les milliers de passagers débarquent aux escales, cela ressemble plus à une invasion de sauterelles qu’à des touristes venus rencontrer des autochtones. La raison triomphera-t-elle de la folie économique et écologique ?
Yolande Bachelier
La vie de Madeleine Riffaud est un hommage à la résistance sous toutes ses formes et en toutes circonstances. Le 2ème tome de ses mémoires en images est paru ! Editions Dupuis