Nombreux sont ceux, aujourd’hui, à avoir perdu leur emploi pour cause de déplacement de la production dans un pays à bas coûts de main-d’œuvre. Outre les drames sociaux qu’elles provoquent, ces délocalisations ont un bilan carbone élevé. Démonstration.
La direction américaine de l’usine Whirlpool d’Amiens (Aisne) a annoncé, en mars 2017, que cette unité de production de sèche-linge fermera en juin 2018. Elle mettra à la porte 290 salariés en CDI et presque autant d’intérimaires qui devront chercher du travail ailleurs. L’entreprise américaine délocalisera sa production en Pologne où les salaires sont trois fois plus bas qu’en France.
Comme ce pays est membre de l’Union européenne depuis 2004, ses productions entrent légalement, sans droit de douanes, dans tous les pays de l’UE, dont la France. Pour Whirlpool, qui a réalisé 900 millions de dollars de bénéfices en 2016, délocaliser en Pologne permet d’augmenter les profits de manière considérable. C’est pour cela que la firme sacrifie les salariés d’Amiens.
Ce n’est pas une première. En 1983, la production de pneus de l’usine Kleber, filiale de Michelin, de Colombes (Hauts-de-Seine) a été délocalisée à Troyes (Aube) et à Toul (Meurthe-et-Moselle) où les salaires étaient alors 30% plus bas qu’en Ile-de-France. En 2009, l’usine de Toul a été fermée à son tour. Michelin a transféré la production en Serbie où les salaires étaient trois fois plus bas qu’en Lorraine. Plus récemment, les manufacturiers que sont Goodyear et Dunlop ont aussi fermé des usines en Picardie pour bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché en Europe centrale. PSA-Peugeot-Citroën en fait de même après la fermeture de son usine d’Aulnay-sous-Bois, puis en transférant d’autres productions industrielles des Hauts-de-France en Slovaquie.
Outre le chômage, les drames humains et le déficit de la balance commerciale induits par ces délocalisations, il est un autre sujet qui mérite d’être analysé, l’écologie. Le texte adopté lors de la Cop21 invite les pays du monde entier à diviser leurs émissions globales de gaz à effet de serre (GES) par quatre, d’ici 2050, afin de contenir le réchauffement climatique dans une limite de +2°C, par rapport à la période préindustrielle de la fin du XIXème siècle. Contenir ce réchauffement est impératif afin que les générations futures puissent vivre sur une planète hospitalière. Mais, on ne divisera pas par quatre les émissions de GES qui ne cessent d’augmenter du fait de la combustion des énergies fossiles, de la déforestation, en continuant de délocaliser les productions industrielles.
À ce propos, le transfert de Whirlpool de France en Pologne est très révélateur. Avant d’y transférer les machines qui tournent encore à Amiens, il faut construire, en Pologne, des locaux pour les accueillir. Couler une tonne de béton, c’est émettre 900 kg de CO2. Il faudra ensuite transporter les machines en camions et les réinstaller en Pologne. Pour cette nouvelle usine, on aura aussi soustrait des hectares de terre à la production agricole.
Quand l’usine polonaise commencera à produire, elle consommera surtout de l’électricité provenant des centrales à charbon. Dans l’Union européenne, on émet en moyenne 300 g de CO2 pour 1kwh d’électricité consommée. Mais la Pologne est nettement au-dessus de la moyenne, alors que la France n’émet que 15 g de CO2 pour une unité de consommation électrique, grâce à la combinaison de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables.
En sortie d’usine, le bilan carbone des sèche-linge polonais sera désastreux comparé à celui de l’usine d’Amiens.
Ensuite, près de 30% d’entre eux seront vendus en France et autant dans les pays du Benelux, après un transport en camion sur une distance moyenne de 1 500 kilomètres. Voilà qui augmentera encore le bilan carbone de cette production délocalisée.
Certains économistes font mine de croire qu’il est possible de résoudre ce problème en soumettant les usines à une taxe carbone. Cette taxe, dont le prix fluctue en fonction de l’offre et de la demande, existe dans l’Union européenne depuis 2005. Mais quand le salaire est trois à quatre fois plus bas en Pologne qu’en France, l’entreprise qui délocalise en polluant davantage augmente tout de même ses profits, tout en payant cette taxe.
Gérard Le Puill
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