Comment le « meilleur système de santé au monde » a-t-il été mis en difficulté dès le début de la crise du Covid-19 ? Les hommages rendus aux soignants par le gouvernement n’effaceront pas les rejets successifs de leurs alertes et de leurs revendications. Cet article écrit en décembre dernier rappelle la justesse des luttes de celles et ceux à qui nous devons aujourd’hui d’espérer surmonter la pandémie.
Depuis près de 30 ans, l’hôpital est soumis à une cure d’austérité dans le cadre des fameuses politiques de rigueur. L’engagement des professionnels a permis de tenir et d’assurer le bon fonctionnement du service public pendant des années, mais à force de tirer sur la corde, celle-ci a commencé à craquer.
Les revendications initiales des personnels des urgences n’avaient rien de spécifique, c’est pourquoi elles ont été reprises par l’ensemble des salariés, y compris les médecins. Elles s’articulent en trois axes : des effectifs supplémentaires, des augmentations de salaires et l’arrêt des fermetures de lits, de services et d’hôpitaux.
La particularité du mouvement réside dans ses formes d’action: la « grève » se limite à un affichage sur les tenues de travail et sur les murs, les personnels continuent de travailler car ils sont « assignés » par les directions pour assurer la continuité du service public. Au fil des semaines, les agents sont allés faire signer des pétitions sur les marchés, interpeller les parlementaires et plusieurs manifestations nationales ont été organisées. Le gouvernement a joué le pourrissement de la situation. Mal lui en a pris, car quand un mouvement social dure, les salariés discutent entre eux et avec les syndicats, les revendications se précisent et les arguments se partagent. Au fur et à mesure, le niveau des revendications s’est élevé et la problématique financière est apparue comme le facteur bloquant qu’il fallait faire sauter.
Ainsi, le pseudo-plan pour les urgences de la ministre de la Santé a été rejeté par le collectif inter-urgences et les syndicats avec un argument très simple : sans crédits supplémentaires, donc sans augmentation du budget des hôpitaux, ce qui est donné aux urgences est pris ailleurs. L’exemple de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris est éclairant : les 200 postes promis pour les urgences par son directeur général, Martin Hirsch, résultaient de suppressions d’emplois et de fermetures de lits dans les hôpitaux gériatriques ! Bref, une grosse arnaque.
La dégradation de la situation aux urgences n’est que le reflet de la grande misère de l’hôpital. Le fait que le mouvement ait perduré et se soit même amplifié pendant l’été a créé un climat très favorable à l’extension de la mobilisation. Les personnels, souvent le nez dans le guidon, étaient plutôt résignés et pensaient que face à ce gouvernement, tellement sûr de sa force, l’action était inutile. Mais le maintien dumouvement dans les services d’urgences, avec un fort soutien de la population, a redonné de l’espoir, créant ainsi un terrain favorable à son élargissement.
L’entrée des médecins dans la lutte a été un accélérateur, avec une convergence très large dans l’unité, puisque la manifestation du 14 novembre a été organisée par une intersyndicale associant les collectifs qui s’étaient créés, inter-urgences et inter-hôpitaux à l’initiative de médecins, ainsi que des associations citoyennes, comme la Coordination des comités de défense des hôpitaux et des maternités de proximité et le Printemps de la psychiatrie. Le contenu revendicatif s’est également élevé, notamment sur la base des propositions de la Cgt, pour se centrer sur le projet de Loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) avec une demande très claire pour répondre immédiatement aux revendications : une augmentation de 5 % du budget des hôpitaux, soit 4 milliards d’euros supplémentaires. Une solution très simple est mise sur la table : la suppression de la taxe sur les salaires qui est un impôt prélevé sur l’hôpital, donc sur nos cotisations sociales, qui représente un coût de 4 milliards pour les établissements.
De nouveau, le gouvernement, en l’occurrence le Premier ministre – la ministre de la Santé étant considérée par les personnels comme ne pouvant plus être l’interlocutrice sur les questions budgétaires –, a tardé à présenter des propositions. Propositions qui ont été jugées très insuffisantes par l’ensemble des partenaires de l’intersyndicale élargie. Le gouvernement a ainsi commis une grave erreur à la veille de la mobilisation du 5 décembre à laquelle les hospitaliers se sont joints. La mobilisation continue autour d’une revendication unique : le déblocage de moyens financiers immédiatement pour pouvoir sortir de la grave crise actuelle.
Aujourd’hui, le mouvement s’est installé dans la durée avec en plus la problématique des retraites qui augmente la colère des salariés. Une partie du personnel hospitalier, notamment les aides-soignantes, bénéficie de ce qu’on appelle « la catégorie active » qui permet, du fait de la pénibilité du métier, de bénéficier d’une possibilité de départ anticipé de 5 ans. Cet avantage sera supprimé avec la nouvelle réforme. La revendication actuelle est son maintien et son extension aux salariés du privé soumis aux mêmes critères de pénibilité. Que l’on soit soignant à l’hôpital, en clinique ou en Ehpad, le travail en horaires décalés, de jour comme de nuit, le port de charges lourdes… ont des conséquences sur la santé : 40 % des aides-soignantes partent en retraite avec un taux d’invalidité plus ou moins importants.
La lutte des hospitaliers est assez exemplaire en matière de mobilisation, associant l’ensemble des personnels, des agents hospitaliersaux médecins et aux professeurs de médecine. Elle pose de vrais problèmes politiques au sens noble du terme – à savoir le vivre ensemble – en mettant en avant des revendications qui sont centrées autour du service public et de son financement. De fait, on arrive vite à l’essentiel : quel partage des richesses dans notre société ?
Dr Christophe Prudhomme
Décembre 2019
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