« Dans ce récit, trois mots résument toute l’histoire de l’humanité : civilisation, colonisation, extermination.» En partant de ces mots, Raoul Peck dissèque, en quatre fois une heure, l’histoire du suprémacisme blanc : l’extermination des Indiens, l’esclavage, la Shoah, le racisme triomphant. Tous les épisodes s’entrecroisent racontés et questionnés par la voix off du réalisateur qui signe son point de vue. Si le parti pris de mêler au récit historique son parcours personnel peut étonner, il est fondé : Raoul Peck, né en Haïti, qui a grandi en Afrique, aux États-Unis et a sillonné l’Europe, n’a cessé d’interroger l’histoire mondiale et la domination des blancs.
Dans Lumumba (2000), il retraçait l’ascension du premier Premier ministre de la République démocratique du Congo et son assassinat en 1961. Avec I’m not your negro (2016), à partir d’un texte de James Baldwin, il revenait sur la lutte pour les Droits civiques aux États-Unis et les meurtres de ses porte-paroles. Dans Assistance mortelle (2013), il filmait et interrogeait les secours internationaux pas toujours bénéfiques après le tremblement de terre en Haïti. Avec la série Exterminez toutes ces brutes, il creuse la question du colonialisme en superposant archives, extraits de films, infographies, documents personnels, dessins et fictions.
La série est rythmée par des scènes de fiction où un soldat blanc, joué par Josh Hartnett, traverse toutes les époques. « Est-il important que les événements soient des faits ou de la fiction ? », demande le réalisateur. Et de continuer : « La plupart des Européens et des Nord-Américains ont appris l’histoire de l’Amérique coloniale et de l’Ouest américain davantage par les films et la télévision que par les livres. » Ces séquences aident à nous plonger au plus près des événements, de leur inhumanité quand les colons tuent de sang-froid, coupent des mains, parquent des populations ou fouettent des corps. Elles autorisent aussi un récit inversé quand, pour mieux nous interpeller, le réalisateur met en scène des enfants blancs enchaînés et battus par des adultes noirs… Elles permettent encore de confronter les époques quand le réalisateur imagine la conférence d’un scientifique du XIXe siècle expliquer la supériorité de la race blanche devant un public bigarré d’aujourd’hui.
En s’appuyant sur les recherches de l’historien suédois Sven Lindqvist, de l’anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot et de l’historienne américaine Roxanne Dunbar-Ortiz, Raoul Peck déconstruit le récit des vainqueurs. La grande nation américaine qui s’est bâtie sur le génocide des Indiens - en un siècle, plus de 90 % des habitants originels sont anéantis - et l’esclavage. Il revient sur l’essor européen, basé sur la colonisation et ses atrocités, tandis que défilent les images des expositions coloniales, rappelle les centaines de génocides perpétrés avec des compteurs qui s’affolent, revient sur la Shoah. Avec toujours la justification des atrocités basée sur la prétendue infériorité du vaincu.
« Je ne cherche pas à me plaindre, je veux juste comprendre », explique le réalisateur. Grâce à des approches multiples, la série suscite des réflexions tous azimuts : historiques, philosophiques, politiques. Elle interroge sur la place de chacun, y compris la nôtre, quand « le cauchemar est enfoui au plus profond de notre conscience ». Raoul Peck démonte les discours dominants qui célèbrent « l’ère démocratique » du président Jackson qui, dans les années 1830, glorifiait la déportation des Indiens et l’esclavage des noirs, comme la « victoire » d’un Truman, déclarant au lendemain du massacre de Nagasaki : « Quand vous avez affaire à un animal, il faut le traiter comme un animal ». Pourquoi de tels massacres n’ont-ils pas été qualifiés de crimes contre l’humanité ? « Est-ce parce que ceux qui ont lâché les bombes sont aussi ceux qui auront nommé l’acte ? »
Exterminez toutes ces brutes est un uppercut qui nous alerte sur le racisme qui se déploie mondialement, alors que défilent les images de Trump, Bolsonaro, Poutine, Berlusconi ou Le Pen. Une œuvre salutaire pour mieux s’armer contre le pire.
Amélie Meffre
Exterminez toutes ces brutes, série de Raoul Peck, visible en replay sur arte.fr jusqu’au 31 mai 2022.
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