Gel des pensions, CSG, non reconnaissance du rôle social des retraités, stigmatisation, isolement… les raisons de leur colère sont nombreuses. Mais ont-ils conscience de la force sociale qu’ils représentent ? Le syndicalisme retraité est-il en capacité de la mettre en mouvement ? François Thiéry-Cherrier, secrétaire général de l’UCR-CGT et Joël Lefèbvre, secrétaire général de l’USR-CGT de Seine-et-Marne, échangent sur le sujet.
Joël Lefèbvre : Non, ça ne va pas de soi. Lorsque nous sommes sur un marché, nous rencontrons beaucoup de questions à ce sujet : pourquoi faire ? Quel intérêt ? Dans nos propres rangs, nombre de ceux qui ont été syndiqués à la CGT en activité nous disent que puisqu’ils ont quitté l’entreprise, ils n’ont plus besoin d’être syndiqués. Ces réactions s’expliquent notamment par le fait qu’à l’entreprise, l’interlocuteur est connu : c’est le patron. Mais à la retraite, il n’y a plus d’interlocuteur direct pour répondre aux questions. J’ajoute que l’isolement des retraités ne favorise pas la prise de conscience. Souvent, ils nous disent être d’accord avec nous, que ce qu’on fait c’est bien, mais ils ne vont pas plus loin car ils pensent que ce n’est pas possible de peser plus fort.
François Thiéry-Cherrier : Le constat que fait Joël dans son département pourrait être généralisé. S’il était naturel de se syndiquer, nous n’aurions pas ce très faible taux de syndicalisation. Nous aurions une continuité syndicale plus facile et les retraités, qu’ils aient été ou non syndiqués en activité, viendraient plus nombreux et plus souvent voir les syndicats et les organisations de retraités. Je crois qu’il existe un vrai décalage entre l’action syndicale et le besoin ressenti des retraités de se syndiquer. Se syndiquer à la retraite, ce n’est pas se syndiquer à l’entreprise. En activité salariée, je défends des droits spécifiques (salaires, conditions de travail…). Mais à la retraite, je défends quels droits ? Il y a une méconnaissance importante des sujets sur lesquels les retraités pourraient intervenir (pouvoir d’achat, logement, transports, services publics, santé, loisirs, culture…). Il est temps de créer quelque chose de novateur pour le monde des retraités. Avec des droits nouveaux attachés à leur situation.
François Thiéry-Cherrier : Je pense en effet qu’ils n’ont pas conscience qu’ensemble, ils représentent une force sociale de premier ordre. Nous sommes 16 millions de citoyens dans la société française. Un quart de la population et bientôt un tiers. En gros, on compte un tiers en apprentissage, un tiers au travail et un tiers à la retraite. Des tiers qui devraient s’articuler et se compléter. Or, au lieu de ça, le gouvernement les oppose en stigmatisant et culpabilisant actuellement les retraités qui ne peuvent créer un rapport de force suffisant. À force de tout diviser, nous risquons de vivre dans une société complètement cloisonnée et en opposition, où l’intergénérationnel et le multiculturel n’existeront plus. Il est donc urgent de redéfinir le sens de ce qu’est la retraite. Ça aidera à la prise de conscience des retraités.
Joël Lefèbvre : Avec ce que je vois dans mon département, je crois en effet que les retraités ne réalisent pas qu’à 300 000, on peut faire bouger les choses. Par contre, quand les retraités s’emparent d’une revendication, comme l’augmentation de la CSG par exemple, ils posent à juste titre d’autres questions. Par exemple sur l’intergénérationnel. On leur dit qu’il faut donner aux jeunes et on les prive de moyens pour aider les plus jeunes, enfants et petits-enfants. Pour peu que le syndicat pointe du doigt un problème qui les touche directement comme la restructuration de l’hôpital ou la poste de Nemours par exemple, ils se sentent plus concernés. Là je pense que le syndicalisme est crédible.
Joël Lefèbvre : Lorsque le syndicalisme offre aux retraités un cadre pour formaliser leurs revendications, c’est un bon outil. Mais reste encore à savoir comment il est perçu. Quelle forme doit-il prendre pour être lisible, crédible et efficace ? Pour ce qui est de la Cgt en Seine-et-Marne, nous travaillons les complémentarités entre les différentes structures d’organisation des retraités. Professionnelles, multi professionnelles, locales et nationales. Ça n’est pas toujours facile. Le slogan « tous ensemble » a parfois du mal à vivre en interne. Mais nous persévérons pour mettre tout cela en osmose. Je note qu’aujourd’hui, de plus en plus de sections professionnelles s’investissent dans l’USR. Par ailleurs, nous privilégions l’unité avec les autres organisations syndicales de retraités, y compris avec la CFDT et l’Unsa que nous informons régulièrement.
François Thiéry-Cherrier : Joël à raison. Le syndicalisme retraité est un bon outil pour riposter. Mais ne perdons pas de vue que nous avons besoin de travailler avec les autres sans pour autant gommer nos différences, mais en faisant un pas vers l’autre. C’est pour cela que la démarche unitaire des 9 engagée en 2014 tient bon. Les retraités ne supportent plus les divisions.
Nous avons la responsabilité de rassembler si on veut avancer. Pour prolonger le propos de Joël sur la crédibilité et l’efficacité du syndicalisme, il est impératif de poursuivre le débat sur notre propre organisation. En se posant les bonnes questions. Or nous sommes toujours en difficultés par rapport aux décisions prises au 10e Congrès de l’UCR à Saint-Étienne en mars 2014. Il ne faut pas d’opposition stérile entre ceux qui privilégient une organisation territoriale et ceux qui pensent qu’il faut maintenir une organisation professionnelle. Sortons des clivages inutiles.
Le seul terme du débat doit être celui de l’utilité du syndicalisme pour répondre aux besoins des retraités. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1984, lors de la création de l’UCR, nous comptions 200 000 syndiqués, aujourd’hui nous sommes moitié moins. La seule chose qui compte, c’est le renforcement de toute l’organisation.
Les attentes des retraités sont fortes dans les territoires. Il est urgent de prendre en compte leurs évolutions administratives, sociologiques, économiques et démographiques. Il y a un fait indiscutable : qu’on le veuille ou non, à la retraite, on est coupé de son milieu professionnel. Les exemples que donne Joël dans son département parlent d’eux-mêmes. Il faut aller vers les retraités là où ils vivent. Si on ne se préoccupe pas de toutes ces questions rapidement, nous serons en recul partout.
Entretien réalisé par Michel Scheidt pour Vie nouvelle
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