Le souvenir décevant des formidables mobilisations de 2010, qui n’ont pu empêcher la réforme ayant repoussé l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, devait être dissuasif. C’est ce qu’espérait Emmanuel Macron et ce n’est pas ce qui s’est passé.
Six mois de mobilisations, 14 journées de manifestations, des grèves reconductibles dans de nombreux secteurs, une mobilisation inédite soutenue par 90 % des salariés et plus de 70 % de l’ensemble de la population.
C’est dire la puissance de ce mouvement que rien n’a pu dissoudre et qui a su résister à toutes les pressions : les coups de force, les mensonges, les campagnes de désinformation, les arguments d’autorité institutionnels, les tentatives de division, le coût financier des journées de grève.
La violence, elle-même, qui avait quelque peu décrédibilisé le mouvement des Gilets jaunes, n’a pas eu l’effet souhaité par le pouvoir. Le Préfet de Paris Lallement, qui avait orchestré une répression sauvage des Gilets jaunes, a été muté et le nouveau Préfet a dû user de prudence dans la répression des manifestations. Le prétexte de l’action violente d’une petite minorité d’activistes, qui considèrent qu’il est plus efficace et plus facile de mobiliser contre la répression et quelques symboles capitalistes, a cependant été largement exploité dans les médias, eux aussi, plus prudents pour dénaturer le sens des manifestations et enclin à faire peur.
La force du mouvement doit beaucoup à l’unité syndicale qui s’est réalisée sur le refus de la retraite à 64 ans. La cohésion qui n’a cessé de s’affirmer au fils des journées d’actions a permis le maintien de l’unité, malgré ceux qui ont tenté d’opposer la CGT à la CFDT, notamment.
L’unité syndicale a permis d’élargir le mouvement. Toutes les catégories de salariés, ouvriers, employés, cadres, mais aussi les sans emploi, les retraités, qui pourtant pouvaient ne pas se sentir directement concernés, les jeunes scolaires et universitaires, toutes et tous se sont retrouvés, côte à côte, dans les rues pour crier leur colère et leur détermination.
Le mouvement contre la réforme des retraites s’est enrichi de nombreuses autres revendications et a contribué ainsi à sa diversification. Une donnée non négligeable pour l’organisation et le succès des luttes à venir.
Autre fait majeur : la place et le rôle du syndicalisme s’en sont trouvés renforcés, alors que, là encore, la stratégie néolibérale, inspirée des méthodes antisyndicales de Margaret Thatcher, visait à une marginalisation des organisations syndicales les plus combattives.
Le passage en force de la réforme, contre l’immense majorité des salariés et de la population, a évidemment généré un sentiment de colère, qui peut trouver un débouché politique dans l’adhésion aux thèses aussi simplistes que dangereuses de l’extrême droite. C’est en parfaite connaissance de ces effets qu’Emmanuel Macron a brutalisé l’Assemblée nationale et méprisé le peuple et ses représentants syndicaux et politiques.
Car il n’ignore pas que le mouvement contre sa réforme a mis en cause les fondements même de sa politique et qu’il aura bien des difficultés à mettre en œuvre ce qu’attendent de lui les milieux financiers et capitalistes qui l’ont porté au pouvoir.
La réforme des retraites d’Emmanuel Macron participe, en effet, d’un projet de société : le néolibéralisme, expérimenté par le dictateur chilien Pinochet dans les années 1970, mis en œuvre par l’autoritaire Margaret Thatcher et le président américain Ronald Reagan dans les années 1980, et ensuite par la plupart des gouvernements occidentaux. Ce projet de société privilégie les nantis sous couvert d’efficacité économique, désengage l’État de ses missions d’intérêt général sous couvert de la lutte contre l’endettement, au profit d’une marchandisation des services publics les plus rentables délaissant ceux qui le sont moins. Il fait peser sur les moins aisés et les plus démunis le poids des efforts nécessaires à la survie d’une société en proie au chaos social. Les conséquences de cette vision de la société sont dévastatrices : les inégalités explosent, la pauvreté croît, le dérèglement climatique s’aggrave dangereusement.
Or, le rejet massif de la réforme des retraites s’est construit au prix d’un reflux des thèses néolibérales et a nourri l’aspiration à une autre société, à un autre modèle économique, respectueux du travail, des conditions de vie et de retraite, de la nature. La participation de la jeunesse aux mobilisations contre la réforme des retraites en est un signe encourageant. Cette jeunesse dont on disait qu’elle ne se préoccupait que du présent et se souciait peu de son avenir et de celui de la planète.
Les idées et les aspirations nées dans les luttes pour les salaires et contre la réforme Macron marqueront durablement le mouvement social et sont autant d’appuis pour arracher à ce pouvoir en difficulté les conquêtes indispensables au mieux vivre.
Le danger serait de ne pas mesurer la force et l’intelligence de ce mouvement et de ne pas en cultiver le potentiel de transformations des idées et des réalités dans les luttes à venir.
« Rien ne sera plus comme avant », déclarait Sophie Binet dans une tribune du journal Le Monde. Il nous revient, militants actifs et retraités d’une CGT renforcée, de contribuer à la construction « d’un monde d’après ce mouvement » conforme aux attentes des salariés et des retraités.
Pascal Santoni
Dossier Vie nouvelle « L’espoir en mouvement »
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